Le réveil de la Forêt Emile Erckmann (1822 - 1899)

À la cime d'un sapin
Gazouille une haute grive,
Criant : « Le soleil arrive,
Là-bas, sur les bords du Rhin, »
Et du creux profond d'un hêtre,
Aussitôt un écureuil
Met le nez à la fenêtre,
Jetant dehors son coup d'œil :
« Que j'admire la nature,
Se dit-il d'un ton joyeux,
Jamais plus riche peinture
A-t-elle ébloui mes yeux ? »
Il voyait sous la feuillée.
Élégant et frais décor,
La lumière éparpillée
Comme une poussière d'or.
Et vous eussiez vu, Madame...
Abeilles et papillons,
Dans cette nappe de flamme,
Voltiger en tourbillons.
Au-dessous, dans la rosée
Qui perle sur les buissons,
Par la lumière irisée,
Éclatent mille chansons.
C'est le merle qui commence :
« Je suis le chantre des bois...
Dans la solitude immense
Vous n'entendez que ma voix,
Je suis artiste dans l'âme,
Et je chanterai toujours
L'ariette qu'on réclame
A l'angle des carrefours.
— Un instant, dit la fauvette,
Ne criez donc pas si haut...
Pour trousser la chansonnette
il ne faut pas un rustaud.
À la cour comme à la ville,
C'est moi seule, s'il vous plaît,
Qui sait cadencer un trille,
Et le terminer d'un trait. »
Le bouvreuil aussi s'en môle,
Et le brillant rossignol ;
On entend la tourterelle
Roucouler en si bémol.
Ainsi la forêt entière
Se réveille au point du jour,
Et, dans l'immense volière,
Ce n'est plus qu'un chant d'amour.
Retournant à sa logette.
Notre charmant écureuil
Déjeune d'une noisette,
Assis dans son beau fauteuil,
Puis, sa ménagère arrive
Prendre part à son repas ;
Elle est agaçante et vive,
Le reste ne se dit pas.
L'amour gouverne ce monde
De la terre jusqu'aux cieux ;
Par lui seul tout se féconde...
Bénissons nos chers aïeux.

Livre I, fable 7




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