L'Historien et le Poète Étienne Azéma (1776 - 1851)

Un grand Historien allait de tous côtés
Recueillant les faits mémorables,
Faits qu'il n'inscrivait sur ses tables
Qu'après les avoir vus, pesés et discutés.
Ce n'étaient que récits de guerre,
Que sottises des rois, que révolutions,
Le tout écrit sans grâce et sans inventions :
Gazette qu'on ne lisait guère.
Un jour certain Poète, ami du narrateur,
S'en fut dans son laboratoire.
Que vois-je ? lui dit-il, vous faites de l'histoire ?
Vous n'aurez pas un seul lecteur.
Profitez du hasard qui chez vous nous rassemble,
Unissons nos efforts et travaillons ensemble.
Moi, j'apporte plume et pinceau.
Dessinez la vérité pure ;
Et je vais mettre à vos tableaux
Le coloris et la dorure.
L'oeuvre bientôt est fait, tant a l'art de pouvair.
Pendant que dans un coin l'historien copie
Quelque fait fort obscur inutile à savoir,
Le Poéte le brode, à dessein l'estropie,
L'étend, l'arrange et le fait voir
Sous le jour le plus favorable,
Voilant toujours sa nudité;
A ce qui paraît incroyable
Il donne un air de vérité ;
Et grâces à cette manoeuvre,
Ce qui n'eût été que bouquin,
Ainsi fardé, devint une oeuvre
Qu'on se passait de main en main.
Que d'histoires souvent resteraient inconnues,
Si l'on n'en brodait pas le fatigant récit !
Plaire est l'essentiel ; mentez avec esprit,
Et vos écrits iront aux nues.

Livre III, Fable 16




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