L'Âne poète Théodore Lorin (19è siècle)

Aliboron se mit en tète,
Un beau matin, de se faire poëte.
« N'allons pas, se dit-il, d'un sévère pédant
Saisir la pesante férule,
Pour attaquer imprudemment
Les vices et le ridicule.
J'attirerais sur moi mille périls divers :
Chacun avec aigreur censurerait mes vers.
Au contraire, en flattant, par un heureux échange,
Sans peine j'obtiendrai louange pour louange. »
Avouons-le, pour un lourd animal,
Notre baudet ne raisonnait pas mal.
Sans plus tarder, il se met à l'ouvrage.
Du lièvre il vante le courage,
L'esprit subtil de l'oie et du dindon,
La constance du papillon,
La gravité du hanneton,
Du rossignol le splendide plumage,
Du paon et du corbeau le séduisant ramage,
De la fourmi la libéralité,
Et du loup la sobriété ;
Avec emphase il s'extasie
Sur la discrétion de commère la pie :
Il trouve au singe un air de majesté,
À la tortue une légère allure,
Au fin renard de la sincérité,
Au chat-huant une aimable figure,
Enfin, au massif éléphant
Il ose faire compliment
Sur sa fine et leste tournure.
« Cesse, dit celui-ci, de forcer la nature.
En nous louant à contre-sens,
Ta sottise nous fait une mortelle injure.
D'un flatteur maladroit, sans tact et sans talents,
Les éloges impertinents
Aux yeux du sage sont, puisqu'il faut te le dire,
Pires cent fois qu'une amère satire. »

Livre VI, Fable 1




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