Au Sénégal~ dans la rivière
Que gonflaient à plein lit la pluie et les torrents,
Et qui refoulait l'onde amère,
Un Caïman régnait naguère y
Ainsi que règnent les tyrans
Par la ruine et le carnage.
Le nègre traversant les eaux,
Et guidant lui-même, à la nage,
Les frêles bottes de roseaux,
Navires qui portaient sa tente et son ménage,
Ses enfants et sa femme inquiets chancelants,
Le troupeau changeant de rivage,
Au Caïman glouton payaient tributs sanglants.
« Quand viendra la saison, quand viendra l'eau salée
Qui nous délivrera de ce monstre cruel ? »
Disaient bêtes et gens en s'adressant au ciel.
Mais le fleuve s'abaisse; en son lit la marée
Pousse les flots de l'Océan
Ils contraignent le Caïman
D'abdiquer son empire et de fuir la contrée.
Grande fête Et déjà les filles du hameau,
Laissant avec l'habit la pudeur au rivage,
De rire et folâtrer dans l'eau.
Mais quels cris, quel affreux ravage
Proclament un tyran nouveau?
C'est le seigneur Requin, prince de l'onde amère
Visitant ses nouveaux états,
Et qui prend de joyeux ébats.
C'est bien un autre train dans toute la rivière
On n'ose plus risquer ni nageurs, ni troupeaux.
Oh pauvres habitants de la terre et des eaux
Puisqu'il vous en faut un ne changez pas de maître
Celui qui surviendrait serait pire peut-être
Supportez votre mal de peur de plus grands maux.
Note de la fable 12 :
Il n'existe de caïmans proprement dits qu'en Amérique cependant, au Sénégal, on donne ce nom au crocodile.
Il ne pleut au Sénégal que pendant trois ou quatre mois, de juin en septembre. A la fin de cette saison, le fleuve grossi déborde régulièrement sur les vastes plaines alluvionnaires, au milieu desquelles il a son cours. Sa crue est proportionnelle à sa distance de la mer.