La Tourterelle et le Moineau Fortuné Nancey (? - 1860)

Quand on l'ignore, ce n'est rien ;
On l'a dit, c'est erreur ; pour moi, soit qu'on le cache,
Qu'on le soupçonne ou qu'on le sache,
À mon avis mal faire n'est pas bien.
Souvent aussi, dans semblable occurrence,
On est trompé par l'apparence ;
Se taire alors vaudrait mieux, entre nous,
Que d'ouvrir les yeux d'un jaloux ;
Car, malheureusement, tous n'ont pas pris modèle
Sur l'époux de ma tourterelle.
Une charmante intimité,
Qui naît d'un heureux mariage
Et qui vit de fidélité,
Depuis longtemps tenait en doux servage
Deux tourterelles qui, jamais,
De leur manoir n'avaient chassé la paix.
Timides et fuyant le monde.,
Elles avaient fait choix de quelques bons amis
Qui valaient mieux, à leur avis,
Que ces menteurs que l'on voit à la ronde
Prodiguer leur tendresse à tous les enrichis.
Qui l'aurait cru ? Cette tranquille vie
Par de méchants propos pourtant fut poursuivie.
Un voisin, un moineau paresseux et bavard,
Au mari de la tourterelle,
Vient raconter, qu'un jour, par un fâcheux hasard,
Il a vu sa tendre femelle
Avec un autre être infidèle ;
El demande surtout qu'on prenne en bonne part
Un avertissement qu'un pur excès de zèle
Lui permet d'apporter encor bien qu'un peu lard.
Souvent en faut-il davantage
Pour brouiller le meilleur ménage !
En fussiez-vous certains, méchants, en pareil cas,
De tels secrets, ne les révélez pas.
Que fait l'époux en mari sage ?
A celle qui lui donne et bonheur et repos,
Qu'il croit encor digne de son estime.,
De leur voisin, qu'un si beau zèle anime,
Il va reporter le propos.
La tourterelle à bon droit s'en offense
Et repousse un soupçon outrageant pour son cœur ;
Puis à la fin s'apaise, et n'a plus pour défense
Que ses larmes et sa douleur.
Maisj c'est assez, l'époux sait la comprendre ;
Et le méprisable moineau
Longtemps ne devra pas attendre
La réplique du tourtereau.
Il eut pu donner cours à sa juste colère ;
Le meilleur fut, je crois, d'être calme et sévère.
« Qui ? lui dit froidement l'époux,
« Ou de ma femme ou bien de vous,
« Sait le mieux ce qu'elle a pu faire ?
« Ma femme assurément. Eh bien ! sachez vous (aire ;
« Car elle affirme, en se fâchant,
« Que celui qui l'accuse est un fourbe, un méchant.
« Je l'en crois plus que vous sans doute ;
« Cherchez ailleurs qui vous écoute. »

Livre II, fable 9




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