L'Escargot et le Ver Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Peste soit de toute maison
Que sur le dos il faut qu'on porte,
Et de celui qui sans raison
Nous a fagotés de la sorte !
Ce maudit ver, souple et léger,
Passe partout, rien ne l'arrête,
Et cette paille, hélas ! m'empêche de bouger :
Chez nous le corps souvent ne peut suivre la tête ;
Ce qui toujours fait rire, et nous donne un air bête. »
C'est ainsi que déraisonnait
Un escargot qu'un fétu retenait.
Tout-à-coup les cieux s'obscurcissent,
L'éclair brille, les vents mugissent,
Et la grêle tombe à foison.
Mon escargot rentré dans sa maison
Sans nul danger laissa passer l'orage.
Le pauvre ver n'eut pas cet avantage ;
Car ne retrouvant plus son trou,
Il s'enfuyait sans savoir où.
La grêle l'envoya ramper au noir rivage.
Un bon vieillard, un véritable sage,
Nous disait l'autre jour : Amis, pour être heureux,
Modérons nos désirs, sachons borner nos vœux ;
Toujours maîtres de nous, évitons les extrêmes ;
Contens de peu, ne murmurons jamais
Contre le ciel et ses desseins suprêmes.
Si nous éprouvons ses bienfaits,
Que l'envieux fasse notre procès ;
Nous serions malheureux en le faisant nous- mêmes.