Un myrte se plaignait au maître du tonnerre :
» Jupiter, disait-il, exauce ma prière,
Je suis las d'être arbuste et voudrais être pin !
Comme cet arbre altier épaissis mon ombrage,
Et fais-moi comme lui résister à l'orage :
Il t'en coûtera peu pour changer mon destin,
Un mot, je serai pin, un mot, pas davantage !... »
Jupiter le prononce, et le myrte à l'instant
Voit son tronc s'élever, s'étendre son feuillage ;
Le voilà pin superbe... et dès le jour suivant
Il n'était déjà plus ! La hache meurtrière
Ébranchait ses rameaux épars sur la poussière.

Fatale ambition que tu causes de maux !
Que j'ai vu d'innocens, d'hommes couverts de crimes,
Succomber lâchement, ou mourir en héros !
Cédant pour quelques jours la palme à leurs rivaux,
Je les ai vus, déplorables victimes,
Du faîte des honneurs marcher aux échafauds.
Insensés ! qui trop tard apprîtes à connaître
Que l'homme le plus grand n'est pas le plus heureux ;
Qu'on le devient dès qu'on veut l'être
Et que l'on sait borner ses vœux.
Loin d'en former un seul peut-être,
Je rendrai grâce au ciel de ce qu'il m'a fait naître
Aussi loin des grandeurs que de la pauvreté ;
Et, comme un ruisseau pur à travers la prairie
Promène entre des fleurs son cristal argenté,
Oh ! laissez, lui dirai-je, à l'abri de l'envie,
Des amis faux, de la perversité,
Oh ! laissez s'écouler ma vie,
Dans ma douce retraite et mon obscurité !

Livre II, fable 15




Commentaires