L'Astronome Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Un savant astronome, accablé par les rois
De riches pensions et d’innombrables croix,
Savait si bien manier la lunette,
Qu’il avait découvert, et cela bien des fois,
Dans l’abîme des deux quelque infime planète ;
Il avait signalé la dernière comète,
Au soleil un nouveau point noir.
Chacun vantait bien haut son immense savoir.
Notre homme admiré dur sa ville
Et par son pays tout entier,
Comme quelqu’un d’unique on son métier,
Aurait pu vivre fort tranquille ;
Mais hélas ! il était privé de tout bonheur :
On lisait dans ses veux le tourment de son cœur.
Du matin jusqu’au soir on le voyait l’air sombre,
Comme quelqu’un qui sent son ennemi dans l’ombre.
Un ami lui dit à la fin ;
« Vous ôtes honoré, riche, et votre famille
Ne vous n jamais fait le plus petit chagrin ;
Un duc vient d’épouser votre charmante fille ;
Vos fils sont bien placés : je vous demande enfin
Mon cher, quel souci vous tourmente? »
L’astronome à l’instant lui répond en ces mots :
« Je ne suis pas comme ces sots
Qui froncent les sourcils dès que baisse la rente.
Si tu me vois triste à mourir,
C’est que j’ai su par ma science
Depuis fort longtemps découvrir
Dans le ciel, un secret peu fait pour réjouir :
Le monde, cher ami, court à sa décadence !
Je me suis aperçu que le brillant soleil
Se couvre toujours plus de tâches innombrables,
Je vois dans l’avenir des choses lamentables.
Le soleil, cet astre vermeil,
Foyer de la nature entière,
Va peut-être bientôt, et j’en frémis d’horreur !
Cesser de donner sa chaleur
Et sa bienfaisante lumière !
Veux-tu savoir pourquoi j’ai l’air si malheureux ?
Sache que je connais les mystères des cieux. »

Il nous faut, c’est certain, des soucis, des alarmes.
Si l’homme ne peut être heureux,
C’est que pour se blesser il sait forger des armes ;
Près de lui n’a-t-il plus aucun sujet de larmes?
Les tâches du soleil le rendront soucieux !

Livre I, Fable 3, 1856




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