Le Charlatan Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Dans un bourg, non loin de Paris,
En pleine rue un jour de foire,
Des paysans tout ébahis
Formaient un nombreux auditoire
Devant un rusé charlatan,
Qui de ses poudres merveilleuses
Vantait les vertus tant et tant,
Que par ses paroles mielleuses
Il attirait les cœurs à lui.
c C'est, disait-il, chose certaine,
A tous je veux vendre aujourd'hui
Un remède qu'on prend sans peine
Et qui guérit de tous les maux.
C'est pour l'humanité souffrante,
Que je vais par monts et par vaux,
Porter cette poudre excellente.
Prenez-là, Messieurs, vous verrez,
Soit dans les champs, soit à la ville,
Que si quelque jour vous souffrez,
Elle vous sera fort utile.
Le rusé pérora si bien,
Que tous voulurent faire emplette,
Et qu'il eut fait en moins de rien
Une magnifique recette.
Un médecin, qui par hasard
Venait de voir toute l'affaire,
Tout bas maudissait ce vantard
Disant : « Vers nous l'on ne vient guère ! »
Un passant lui dit sans retard :
« C'est vrai, vers lui chacun s'empresse,
Mais voulez-vous savoir pourquoi ?
C'est que pour attirer à soi
Tout ce peuple auquel il s'adresse,
Il va vers lui, puis l'intéresse.
Tenez, pour tout dire, entre nous,
A tromper si cet homme excelle,
C'est qu'il agit avec grand zèle.
Il court après les gens ; mais vous,
Docteur, il faut qu'on vous appelle !
Si pour dire la vérité,
On employait autant d'audace,
Ce menteur serait supplanté,
El le savant prendrait sa place.
Mais hélas ! c'est un fait certain ;
La vérité souvent se cache !
Le peuple au charlatan s'attache
Sans penser même au médecin ! »

Livre I, Fable 5, 1856




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