Avec un âne, un jour une vieille jument
Du temps passé causait tout tristement.
Elle disait : « Au temps de ma verte jeunesse
Je fus heureuse aussi, je vécus fort gaiment ;
Mais hélas ! aujourd'hui dans ma triste vieilles,
Tout va pour moi bien autrement !
Car dès le grand matin, la voix désagréable
De notre vieux meunier commence à retentir,
Je n'ai pas sommeillé deux heures dans !
Qu'il me dit : « Cesse de dormir. »
Alors il mot sur moi ses lourds sacs de farine ;
Succombant sous le faix, si je viens à broncher,
Avec son gros bâton qu'il appelle badine,
Il me fait relever et me force ù marcher.
Et dire qu'autrefois, près d'un château splendide
Je pouvais librement tout le jour folâtrer
Sur le gazon humide !
Les passants venaient m'admirer ;
Mon maître, tous les jours de sa main blanche et fine,
Caressait ma luisante peau ;
Il disait a son fils : « Ô regarde, examine
Ce poil, comme il est fin, ce col, comme il est beau ! »
Quand je pense à cela dans ma sordide étable,
En route, ou dans le champs, je me sens misérable !
Ah 1 je me souviens trop d'un temps qui fut heureux, .
Mon passé de bonheur rend le présent affreux !
Et je sens tous les jours mon sort plus lamentable. »
L'âne à ces mots lui dit :
« Je comprends fort bien ton dépit ;
Mais n'ayant pas connu comme toi l'opulence
Je supporte assez, bien d'être dans l'indigence.
Depuis longtemps mon dos connaît bien le bâton ;
Comme on ne m'a jamais fait la moindre caresse,
Je ne regrette pas comme toi ma jeunesse
Qui ne m'a donné rien de bon.
Vu, je ne me plains pas do porter la farine
Do la ferme au moulin,
Car j'ai toujours porté des sacs sur mon échine
Et je suis résigné quand tu gémis sans fin. »
Lorsque on a connu l'opulence
Bien plus pénible est l'indigence.