A Jupiter un jour les ânes présentés,
Se plaignaient, non sans droit, d'être persécutés.
« L'homme est notre tyran bien plus que notre maître,
Disaient-ils ; il nous donne à peine de quoi paître ;
Cependant, nous portons, pour les besoins d'autrui,
Des charges qui tueraient un être tel que lui.
Pour comble d'injustice, à grands coups d'étrivière
Il exige de nous une marche légère
Que nature en tout tems, tu sais, nous interdit ;
Il l'exige, malgré notre fardeau maudit.
Arrête, ô Jupiter, cette horrible injustice,
Si pourtant l'homme peut s'arrêter dans le vice'
Tu nous fis, il est vrai, pour servir ses besoins,
Mais ne pourrions nous être étrillés un peu moins ? »

Jupin leur répondit : « Mes bonnes créatures,
Vous ne méritez pas ces cruelles injures,
Je le sais ; mais, hélas ! je ne vois nul moyen
De gagner le tyran, de le convaincre bien
Que la lenteur en vous n'est point de la paresse.
Vous vivrez donc toujours dans la même détresse ;
Vous avez de la force et. non de la valeur,
Or, l'esclavage est fait pour qui manque de cœur.
Mais, touché de vos maux, je vous donne en partage,
(Et c'est de ma tendresse un flatteur témoignage)
L'insensibilité. Désormais chez vous tous,
La peau s'endurcira sous les plus rudes coups,
Et, d'un maître brutal bravant la violence,
Fatiguera son bras, sans craindre sa vengeance. »

Les ânes aussitôt de braire : «ô Roi des Dieux !
« Toujours tu fus clément, miséricordieux ! »
Et puis, rendant hommage à sa haute sagesse,
ils quittèrent son trône en sautant d'allégresse.

Livre II, fable 10




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