L'Enfant et le Jardinet Henry Macqueron (1851 - 1888)

Dans son jardin un père avait laissé
Aux loisirs de son fils un petit coin de terre.
Quand l’Enfant l’eut bêché, fumé, puis ratissé,
Et puis enfin ensemencé,
Il pensa, cœur naïf, n’avair plus rien à faire.
« Mon jardin, cher papa, de moi n’a plus besoin.
Partons, tu l’as promis. Mais dis bien à Baptiste,
(Comme ça va pousser !) dis bien à ton artiste,
Qu'il peut ailleurs porter son soin;
Qu’on maille rien gâter tandis que je suis loin.
— Eh bien, soit! dit le père, homme de prévoyance.
Des vertus de ton sol faisons l'expérience,
Et qu’à lui-même on le laisse à l'instant.
Aucun n'y touchera durant notre voyage, »
Un mois dura l’absence; il n’en fallait pas tant.
L’Enfant, poudreux encor, court a son jardinage.
Les fleurs ont avorté. Mais, se portant au mieux,
La s’étalait sans gène un mouron plantureux ;
Dans les herbes grouillaient les limaces baveuses,
Insolent et grincheux se dressait le chardon;
Et la sournoise ortie, aux glandes venimeuses,
Protégeait de-son ombre un gluant champignon.
Quant au garçon, c’était la stupeur même.
Son père, qui survint, lui dit : « Mon cher Enfant,
C'est, tu le vois, une imprudence extrême
Que négliger un sol, fit-il même excellent.
Le germe impur dans l'air si librement circule!
Et, sans qu'il soit besoin qu’on l’arrose, il pullule;
Prend la place du bon, qu'il étoufse ; et bientôt,
Si le fer vigilant ne le guette et l’attaque,
D’un Jardinet fait un cloaque!
Pour toi, mon fils, un dernier mot.
En un jardin de ton cœur vois l'image :
Ce cœur, ta mère et moi avons tant cultivé,
Et des souffles malsains jusqu’ici préservé!
Car nous savons, instruits par l'âge,
Quel grain mauvais se glisse, à germer toujours prêt;
Qu’au bien toujours le mal dresse l'embuche,
Et que pour rester bon souvent un jardinet,
Cœur d’enfant, coin de terre, a besoin qu’on l’épluche.
Quels meilleurs jardiniers que Maman et Papa ? »
Quand le père eut fini, son Enfant l'embrassa.

Fable 52




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