Un bambin de six ans se plaignait, à son âge,
De se voir encor si petit.
Hélas, se disait- il, n'est-ce pas bien dommage !
Ce regret n'était pas fort sage,
Pourtant le pauvre enfant en perdait l'appétit.
Connaissant son chagrin, la mère s'en étonne,
Et veut le consoler; une mère est si bonne !
Ton papa, cher ami, fut petit comme toi.
On ne devient pas grand tout d'un coup, lui dit-elle,
Mais par degrés ; c'est la commune loi ;
Pour tout ce qui vit elle est telle.
Ainsi ne te désole pas,
Avec le temps tu grandiras.
Or l'enfant sur ce point demeurait intraitable.
L'indulgente maman le prend donc dans ses bras .
Et le place sur une table.
Voyez comme, à présent, il est grand !... Le marmot
S'épanouit d'aise à ce mot,
Et se croit bonnement un grand homme, un prodige.
Mais le charme ne dura pas.
Bientôt il fut pris de vertige,
Et de crainte de cheoir il n'osa faire un pas.
Il lui fallut rester sans bouger, ou descendre.
Qu'ai-je voulu faire entendre
Par cette fable, ami lecteur ?
Que plus d'un sot admirateur,
Encor plus sot panégyriste,
Voulant grandir un jeune artiste,
Lui dresse un piédestal d'une telle hauteur,
Que la tête lui tourne, et, de peur de culbute,
Il se tient immobile, ou bientôt de sa chute,
Il laisse ses prôneurs étonnés, ébahis.
De ce que je dis là vous faut-il mainte preuve ?
Hélas ! mon cher lecteur, j'en treuve,
Sans sortir de notre pays.