Deux ours à l'épaisse fourrure,
L'un noir et l'autre blanc, bien loin de leur séjour,
Se rencontrèrent un beau jour...
Peut-être on me dira : mais par quelle aventure ?
Je l'ignore, et l'historien
Que j'ai consulté n'en dit rien.
Le seul point important, c'est qu'ils se rencontrèrent.
Dès qu'ils se furent approchés,
D'abord ils se considérèrent,
Puis, pour se saluer, poliment se flairèrent,
Car ils n'étaient pas mal-léchés.
Je viens du nord , dit l'un ; moi, du midi, dit l'autre.
Mon pays vaut mieux que le vôtre,
Car le moyen de vivre en vos tristes climats !
Le citoyen du pôle arctique,
En grondant un peu, lui réplique :
Vous-même vous vivez au milieu des frimas,
Sur le sommet de vos montagnes.
- Mais je descends dans les campagnes,
Dit l'autre, et j'y prends mes ébats.
Longtemps sur ce sujet durèrent leurs débats.
Entre des étrangers, c'est assez la coutume.
Puis ils en vinrent au costume.
–Voyez de mon manteau l'éclatante blancheur,
Dit l'habitant du nord ; n'est-ce pas le symbole
Des nobles sentiments que je porte en mon cœur?
Mais l'autre prenant la parole :
-J'aime mon habit noir, et je m'en fais honneur ;
Il montre de ma part un goût simple et modeste,
Et prouve enfin que je déteste
Le luxe et son éclat trompeur.
Ils auraient plus longtemps prolongé la dispute,
Mais, voyant non loin d'eux un troupeau de moutons,
D'accord alors, chacun de nos gloutons
D'un même bond, part, s'élance, culbute,
Déchire à belles dents les brebis, les agneaux,
Et se repaît de leurs lambeaux.
Morbleu ! vous nous la baillez bonne !
Eh ! qu'importe d'où vous sortez,
Et quelles couleurs vous portez,
Si vous vous entendez contre la gent moutonne?
Ainsi dit un bélier qui, caché dans un coin ,
Les avait entendus et contemplés de loin.
Aux hommes de parti cette fable s'applique.
Qu'importe à la chose publique
Et la couleur de leur drapeau,
Et leur système politique,
S'ils sont toujours d'accord pour manger le troupeau ?