Les Crieurs de nuit Ignacy Krasicki (1735 - 1801)

Que de maux sont le fruit de la rivalité,
De l'aveugle amour-propre et de la vanité !

Certaine ville était eu rumeur éternelle:
Deux hommes, Pierre et Paul, tous deux Crieurs de nuit,
Nourrissaient l'un pour l'autre une haine mortelle.
De ces manants chacun épousait la querelle;
Deux souverains rivaux eussent fait moins de bruit.
Le Lieutenant civil prenait parti pour Pierre;
Paul voyait l'Échevin rangé sous sa bannière.
La Police dormait; ses fidèles limiers
Oubliaient de veiller au repos des foyers.
Ou eût vu les enfants courir la prétentaine,
Les voleurs, les filous, abonder par centaine,
Les femmes à leur gré quereller leurs maris
De tous ces vains débats quel fut enfin le prix ?
Le tumulte s'accrut à tel point dans la ville,
Que bientôt on en vint à la guerre civile...!
(Si j'exagère, au moins j'exagère fort peu).
Pierre et Paul, cependant, selon leur ordinaire,
Tranquilles s'en allaient criant d'une voix claire :
Fermez bien vos maisons; éteignez votre feu..!

Tirons de cette fable encore une morale :
Tel cause assez souvent le bruit et le scandale,
Qui se tient à l'écart et se frotte les mains,
Tandis qu'autour de lui se battent les humains.

Livre II, fable 2




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