La Mouche et l'Abeille Ivan Krylov (1768 - 1844)

Une mouche, au printemps, sur une fleur posée,
Mollement se berçait, au souffle du zéphyr,
Et, près d'elle, une abeille, occupant son loisir.
Allait, de fleur en fleur, aspirer la rosée.
« Ah! vraiment tu fais peine à voir,
Dit la mouche avec ironie.
Quel travail, du matin au soir !
Ta tâche n'est jamais finie.
Vois comme on vit chez nous ! c'est un vrai paradis
Quand aux bals, aux salons j'ai fait courte visite,
Dans les plaisirs je m'étourdis,
Et des affaires je suis quitte.
Je puis dire , sans vanité,
Qu'il n'est, dans toute la cité,
Palais de seigneur ou de riche
Qui de m'avoir ne soit flatté.
Là, de festins on n'est pas chiche !
11 faut m'y voir ! Si, par hasard,
Pour un hymen , pour une fête ,
Il est un banquet qui s'apprête,
Des premières j'en prends ma part.
Dans de beaux plats de porcelaine
J'ai toujours là friand régal,
Et j'y bois, pour me mettre en veine,
Des vins exquis dans du cristal.
Lorsqu'aux bonbons, aux confitures,
Avant tout autre j'ai goûté,
Chez les dames, en liberté.
Je vais courir les aventures.
A mainte beauté, tour à tour,
En voltigeant, je fais ma cour.
Près d'elle je folâtre et joue,
iMe permettant plus d'un larcin,
Ou sur les roses de sa joue,
Ou sur la neige de son sein.
— Oui , je sais tout cela, lui répondit l'abeille ;
Mais pourtant, si j'en crois ce qu'on m'a raconté,
Ta présence en tout lieu n'a point faveur pareille :
De te voir aux banquets aucun n'est enchanté ;
Bien plus , à la maison dès qu'on te voit paraître,
C'est à qui te mettra dehors.
— Bon ! le grand mal ! c'est vrai peut-être ;
Mais , par la porte si je sors,
Je sais rentrer par la fenêtre. »

Tout impudent est notre maître ;
Les plus hardis sont les plus forts.

Livre VIII, fable 12




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