Un serpent chez un villageois
Cherchait un jour à s'introduire,
Non pour y vivre en bon bourgeois,
Mais pour soigner ses fils et surtout les instruire :
Pain durement gagné pour la bouche est si doux !
ti Je sais bien qu'en tout lieu fort mal on nous renomme,
Disait-il; on répand de mauvais bruits sur nous,
Et jamais nul serpent n'irait tirer, en somme,
De bonne vie et mœurs certificat chez vous.
Le serpent, vous dit-on, est méchant de naissance,
Et, dès l'antiquité, Ton sait que par état
Il fait si très-souvent de la reconnaissance,
Qu'il est ami perfide et père indélicat;
Mais, quant à moi, j'échappe à toute médisance.
Si maint serpent parfois a mangé ses enfants,
C'est fâcheuse habitude, et, moi, je m'en défends.
J'ose affirmer, sans faire ici le bon apôtre.
Que, depuis qu'il m'est né, mon dard n'a point servi,
Car j'ai mon dard tout comme un autre;
Mais, si quelque accident, un jour, me l'eût ravi.
Je suis si doux et si bonasse,
Qu'eussé-je dû mourir sur place,
J'en eusse encore été ravi !
Je suis donc, tu le vois, le meilleur de ma race,
Et ces bons sentiments te sont de sûrs témoins
Que je puis à tes fils donner de tendres soins.
— Oui, fait le villageois, tu nous dis vrai peut-être ;
Mais je ne puis pourtant t'admettre à mon foyer,
El si, pour mon malheur, je voulais l'essayer,
Nul homme des serpents bientôt ne serait maître.
Tes pareils, le voyant dans ma chaumière admis,
Se glisseraient chez nous pour y vivre en amis,
Et, pour un bon serpent, nous aurions plus d'un traître.
Je suis fort peu tenté, malgré ton air affable,
D'apprendre un jour à mes dépens
Que de nos amis les serpents
Le meilleur ne vaut pas le diable ! »
Parents, comprenez-vous ce que vous dit ma fable ?