Il était un conteur, comme il en est beaucoup,
Exagérant la plus simple aventure,
Et ne disant un mot, qui ne fût imposture.
J'ai vu, dit-il un jour, en certain bois un loup
Aussi gros qu'un cheval. On fait semblant de croire,
Par pure honnêteté, l'impertinente histoire.
Quelqu'un des auditeurs,
Retournant à son domicile,
Vers le déclin du jour, et craignant les voleurs,
Se fait accompagner du prince des menteurs,
Personne après tout fort civile.
Chemin faisant, un pont se présente à leurs yeux,
Mais encore à quelque distance.
Voilà dit le premier, d'un ton fort sérieux,
Le pont de vérité. - Comment ? Est-ce qu'en France
Il en est qui porte ce nom ? -
À sa vertu particulière
Il doit le sien. - Expliquez ce mystère. -
Un menteur, en passant, tombe dans la rivière. -
Est-ce bien vrai ? - C'est tout de bon.
Le drôle, de son Loup ayant réminiscence,
Éprouve tout-à-coup remord de conscience,
Et, de peur d'accident,
Cherche à raccommoder la chose promptement ;
Ce loup, dit-il, n'avait, je pense,
La taille d'un cheval,
Mais tout au plus d'un âne. On chemine, on avance,
On approche du pont fatal :
Ce loup, je commence à le croire,
N'était plus grand qu'un veau :
Chose peu sûre est la mémoire.
Enfin on touche au pont, et scrupule nouveau
Inquiétant notre homme ;
Je vois bien pour le coup
Que j'étais dans l'erreur ; ce loup était gros comme
Un autre Loup.

Livre V, fable 10




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