Belle Mimy, je vous adresse
Une fable, que ma tendresse
Pour vous m'a fait imaginer.
Je ne voulais qu'y badiner
Avec l'Amour, avec l'Absence,
Y décrire en vous amusant,
Le caractère et la naissance
De ce fantôme séduisant
Que l'on nomme Coquetterie :
Mais la triste sévérité
De l'Absence et sa gravité,
Emoussent la plaisanterie ;
Aussi bientôt de mon discours
Si sérieux est devenu le cours,
Que vous aurez peine à l'entendre,
Un jour pourtant vous l'entendrez,
Et pour lors vous vous souviendrez
Que de vos amis le plus tendre,
En le faisant eût pour objet,
Mais plus précieuse chimère
Me réussit, je ferai plus content
Que ne l'est vôtre aimable Mère,
Lors qu'en vous d'instant en instant
Ses vertus elle voit renaître,
Et qu'en examinant vos traits,
Leur beauté lui fait reconnaître,
Et sa grâce et ses attraits,
Son port noble, son air affable,
Cet air qui prévient et qui plaît,
Mais je reviens à notre fable,
Et vous l'offre telle qu'elle est.
En ces temps où dans l'innocence
Vivait encor le genre humain,
L'Amour et la plaintive Absence,
Ensemble un jour se mirent en chemin.
On ne fait point de ce pélerinage
Que fût le lieu ni le sujet,
Mais des Dieux avec fruit chaque pas se ménage,
Le bien de l'Univers en est toujours l'objet ;
Suivi de nombreux equipages
Léger et n'allant que par sauts
Marchait l'Amour, ayant même pour Pages
Princes et rois pris parmi ses vassaux :
Tristes, languissante est pensive
L'Absence aux yeux distraits sans suite le suivait
A pas si lents, que l'on n'apercevait
Aucun progrès dans sa marche tardive ;
Toutefois vers la fin du jour
L'un et l'autre arrivent au gîte,
Là vous eussiez vu de l'Amour
Toute la fuite qui s'agite
Pour prévenir ses volontés ;
Palais et Meubles enchantés,
Repas pleins de délicatesse,
Concerts que forme la justesse,
Enfin tous les appas des molles voluptés
Lui font dans l'instant apprêté ;
Tandis qu'en un coin affligée
L'Absence toujours négligée,
Pour tout secours n'a pour tout aliment,
Que l'absinthe et le fiel son assaisonnement.
[...]