Le Papillon et la Rose Jean-Auguste Boyer-Nioche (19è siècle)

Vif et léger,
J'aime à changer ;
C'est ma folie,
C'est de ma vie
Tout le bonheur ;
Et chaque fleur
Ne peut près d'elle
Fixer mon aile
Qu'un seul instant.
Or, franchement
Je le confesse,
Fleurs que j'aimais,
Je vous délaisse,
Et pour jamais,
Plein d'alégresse,
Je vais ailleurs,
Amant volage,
A d'autres fleurs
Porter l'hommage
De mes ardeurs.
C'est en ces mots qu'aux fleurs de la vallée,
Un papillon fit un jour ses adieux,
Et pour aller en d'autres lieux,
A l'instant il prit sa volée.
Mais laissons voyager ce petit libertin ;
Il pourra regretter l'aimable primevère,
La modeste anémone et la simple bruyère.
A force de voler, il arrive un matin
Au milieu du plus beau parterre :
Mille fleurs à la fois éblouissent ses yeux
Dans ce séjour délicieux ;
A toutes, à la fois, l'inconstant voulait plaire ;
Mais il a vu la rose, et, d'une aile légère,
Il s'empresse d'aller folâtrer alentour.
Cher objet, lui dit-il, du plus ardent amour !
Toi qui des fleurs est la plus belle,
A mes vœux ne sois pas rebelle.
Ah ! pour ne pas te payer de retour,
Il me faudrait une âme bien cruelle !
Puis elle semble épanouir son sein
Pour l'inviter à faire un doux larcin.
Dans le transport de son ivresse,
Sur la fleur il va se poser ;
Mais quoi ! dès le premier baiser
Qu'il donne à sa belle maîtresse,
Hélas ! une épine traîtresse
Que l'imprudent ne voyait pas,
Si dangereusement le blesse,
Qu'il est encore heureux d'échapper au trépas.
Guéri de sa blessure, il reprit sa volée,
Pour aller retrouver les fleurs de la vallée.

Jeunes gens qui, d'abord véritables Daphnis,
Alliez, tout bonnement, porter sous la coudrette
L'encens de votre amour à quelque bergerette ;
Mais qui, bientôt après, dédaignant vos Philis,
Et passant tour à tour de la brune à la blonde,
Voulez courir enfin les hasards du grand monde,
Et prenez pour cela le chemin de Paris ;
Allez : vous y verrez mille beautés divines ;
Vous croirez votre sort égal au sort des dieux ;
Je ne conteste rien. Mais sachez qu'en ces lieux
Les roses, fort souvent, ont aussi leurs épines.

Livre III, fable 23




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