Le Cadi et l'Arabe Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Certain Arabe aimait son Chien comme lui-même ;
Ce Chien réunissait dans un degré suprême
Toutes les qualités qui font les vrais amis ;
Dons précieux, que chez les hommes
On a peine à trouver dans le siècle où nous sommes
Hardi dans les dangers, doux et tendre au logis,
Fidèle, vigilant, généreux, secourable,
De son cher Maître inséparable,
De lui sauver le jour il eut deux fois l'honneur.
11 mourut et son Maître en fut inconsolable.
Pour satisfaire sa douleur,
Il le fit enterrer avec cérémonie
Dans son jardin, sous un berceau,
Et grava de sa main ces mots sur son tombeau :
Ci-git à qui je dois la vie.
Le soir à ses Amis il donne un grand festin ;
Pour rendre du défunt la mémoire célèbre,
Il leur fait en pleurant son oraison funèbre.
Le Cadi, dés le lendemain,
Du détail de la fête eut la tête remplie :
Le profane a suivi toute la Liturgie
(Disaient les Délateurs) que prescrit l'Alcoran
Aux obsèques d'un Musulman.
Le scrupuleux Cadi de colère étincelle ;
I! mande le Coupable : Ah ! dit-il, infidèle !
Jusqu'à ce crime infime as-tu pu t'avilir ?
Est-il vrai qu'à ton Chien tu rends le culte impie,
Qu'au Chien des Sept Dormans, à l'Âne d'Ozaïr
Rend depuis trop longtemps une Secte ennemie ?
Sans se déconcerter l'Arabe répondit :
L'histoire de mon Chien ferait de longue haleine,
Seigneur ; mais un seul trait, qu'on ne vous a pas dit,
De vous être conté peut-être vaut la peine.
En mourant le défunt à fait un testament
Dont voici la première clause :
(Et je vais la remplir, Seigneur, dans le moment)
En faveur du Cadi le Testateur dispose
De cent âpres. Combien ? Ai-je bien entendu,
S'écria le Cadi..… De cent âpres, dis-tu ?
O Dieu ! punis la calomnie !
Comme les gens de bien font en bute à l'envie !
Je t'avais cru coupable, hélas ! j'ouvre les yeux.
Ia donc fait ce legs pieux !
Viens, puisque Mahomet tout exprès nous rassemble,
Au Ciel pour le défunt offrons nos vœux ensemble.

Livre II, fable 26




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