Jardin de la fertile Grèce,
Arcadie, aimable séjour !
Dont les campagnes tour-à- tour
Font l'ornement et la richesse,
Où l'homme fans crainte acquiesce
A l'instinct qu'il fuit fans détour,
Et jouit jusqu'en fa vieillesse,
Exempt de faste et de mollesse,
De la Nature et de l'Amour.
Athènes, chère à la Déesse,
Dont on y voit les Arts, fleurir,
Sans doute pourra nous offrir
Le savoir et la politesse,
Lacédémone la sagesse :
Mais c'est chez toi qu'est le plaisir.
Là, dans des campagnes riantes
On voit des bosquets toujours verts,
Des prés dont les fleurs odorantes
Charment l'œil, embaument les airs ;
Des côteaux de pampres couverts >
Au loin des moissons abondantes
Et fur leurs tiges jaunissantes
Déjà les épis entr'ouverts
Incliner leurs têtes pesantes,
Et s'agiter en sens divers.
De cette colline éminente
J'aperçois du sommet des monts
Se précipiter l'Erimante,
Qui bientôt à mes pieds serpente
Paisiblement dans ces vallons.
Quelle variété d'images!
Là, les sites les plus sauvages,
Voisins des plus riants tableaux ;
Ici, de riches pâturages,
Couverts d'innombrables troupeaux;
Plus loin, Pan, enflant ses pipeaux,
Faisant résonner les échos,
Et retentir tout le rivage.
A ce doux signal du plaisir,
Donné par leur Dieu tutélaire ?
On voit le Berger, la Bergère
De tous les côtés accourir ;
On se mêle, on forme une danse
Sous l'ombrage épais d'un ormeau,
Le cercle roule, se balance,
Et les pieds frappent en cadence
La terre au son du chalumeau.
Bientôt de l'instrument rustique
Dont elle renforce le son,
La voix ranime la musique
Par la gaieté de la chanson,
Autour du cercle l'on se presse,
Et dans la foule le vieillard
Sourit à l'ardente jeunesse,
Dont on voit encor l'allégresse :
Etinceler dans fon regard ;
Tandis qu'un peu plus à l'écart
La mère dans ses bras caresse
L'enfant, qui déjà s'intéresse
A des jeux auxquels sa faiblesse
L'empêche encor de prendre part,
Ici, c'est un Colin-Maillard,
A qui chacun veut faire pièce ;
On l'attaque de toute part:, 75
On se dérobe avec adresse,
Il saisit quelqu'un au hasard ;
Et malgré le silence et l'art,
Et tous les pièges qu'on lui dresse,
Le tact, suppléant au regard,
Il déconcerte la finesse :
Et nomme le Colin-Maillard.
Là, c'est une plus grave affaire ;
Il s'agit du gage touché, top
Le dépôt, couvert de fougère,
Gardé fous le sceau du mystère,
A tous les yeux reste caché,
On demande ce que doit faire att
Le maître du gage touché ;
La troupe entr'elle délibère,
Et veut qu'il donne à fa Bergère
Un baiser, si c’est un Berger.
C'est Tyrfis. Il court à Glycère
Mais la belle, d'un pied léger,
S'élance et fuit le téméraire,"
Qui la poursuit pour l'obliger
A lui donner le doux salaire
Qu'on l'a mis en droit d'exiger.
Le rire éclate, le jeu cesse,
On se lève, l'on s'intéresse
A ce spectacle d'un moment;
On en parle différemment :
L'un fait des vœux pour la Maîtresse,
L'autre fait des vœux pour l'Amant.
Telle on vit jadis Atalante
Sur l'arêne prendre l'essor ;
Mais dans cette course brillante,
L'Amant, pour vaincre fon Amante,
Eut recours à des pommes d'or.. 27
Ce trait n'est pas fort à fa gloire,
Elle aimait à thésaurifer :
Ne s'agissant que d'un baiser,
Elle eût remporté la victoire…
Déjà Glycère est aux abois,
Sa défaite paraît certaine :
Tyrfis n'en est plus qu'à deux doigts,
Et la Bergère est hors d'haleine.
Sur ses pas s'offre un petit bois,
Elle y court, on tremble pour elle ;
Car le bosquet qui la recèle, se
Les reçoit tous deux à la fois.
Malgré les Bergers, les Bergères
S'empressent toutes d'accourir,
Il faut aller la secourir :
C'est l'avis des vieillards, des mères.
On comptait troubler les mystères
De la tendresse et du plaisir.
Au spectacle qui vient s'offrir,
Hélas ! on ne s'attendait guères.
Sur un antique monument,
Couvert de mousse et de fougère,
On trouve Tyrfis et Glycère
Qui confièrent tristement
Le tombeau, l'urne funéraire,
Et l'image d'une Bergère
Que la mort de sa saulx sévère
A moissonnée en fon printemps,
Et qui, malgré celle du temps,
Semble respirer fur la pierre
Qui recouvre les ossements.
Les yeux mouillés on voit Glycère,
Qui du doigt montre à fon Amant
L'inscription. Au caractère
On reconnaît évidemment
L'antiquité du monument.
On y lit : J'AVOIS NOM SYLVIE,
ET JE VIVOIS EN ARCADIE.

Fables et contes dédiés a Son Altesse Impériale Monseigneur le Grand Duc, Livre I, Fable XXIV




Commentaires