Le Cadi Bourgeois-Guillon (19è siècle)

La justice en Turquie est fort peu libérale,
Doux fruit du despotisme. On dit même qu'elle est
Illusoire autant que vénale.
On en peut juger par ce trait
Sur l'authenticité duquel je me repose.
Deux Turcs plaidaient par-devant le Cadi.
L'un d'eux parlait si bien, ne sais sur quelle chose,
Prouvait si bien son droit, par pièces, qu'ébahi
Tout le public lui donnait gain de cause.
Enfin quand il eut bien tout dit,
L'autre Turc tire de sa poche
Papier tout blanc plié, puis, sans faire de bruit,
Du vieux magistrat il s'approche.
Seigneur Cadi, dit-il, vérité n'a besoin
De belle phrase, d'anicroche,
Je ne m'étendrai pas si loin.
Tout ce que l'adverse partie
A dit si longuement, en deux mots, je le nie.
C'est ce que ce papier mieux que moi prouve encor.
Il renfermait cinquante sequins d'or.
Mon Cadi qui les sent gravement le déploie ;
Et, dissimulant mal sa joie,
Il dit au premier Turc, ami,
Ton plaidoyer trop long veut être raccourci ;
Il n'a fait qu'embrouiller l'affaire.
Si tu veux la rendre plus claire,
Il te faut des témoins plus nombreux que ceux-ci.

Si le fait est vrai, Dieu merci !
On met ailleurs au moins plus de mystère.