Un singe avait pris ses licences.
Avocat tout novice et de la veille inscrit,
Armé du portefeuille, il court aux audiences ;
Prend un air affairé pour se mettre en crédit.
Enfin un gros procès, qu’un âne lui confie,
Le met au comble du bonheur.
C’était le premier de sa vie.
Il va donc plaider! Quel honneur!
Il s’agissait d’un droit d’usage,
Prétendu par un bœuf sur un certain pacage,
Et que l’Ane lui contestait.
Question importante et surtout très ardue.
L’un vendiquait sa part, en tant qu’à lui vendue,
Et la possession pour l’autre militait.
Dès longtemps sur ce point le barreau disputait ;
La grand’salle en était émue.
Cependant le jeune avocat
Au fond de son étude en travaux se consume.
Il lit, relit, confronte et Cujas et Domat,
Compulsant maint et maint volume.
Enfin du jugement arriva le grand jour.
D’un public imposant la salle était remplie.
Un vieux renard devant la cour
Plaida pour l’adverse partie.
Il était demandeur : il parla le premier.
Il fit merveilles ; bref il troubla l’écolier.
Quand ce vint à son tour, devant l’aréopage
On vit s’avancer le magot.
Il ôta son bonnet, fit le salut d’usage,
Ouvrit la bouche… et ne dit mot.
Vainement, pour prélude, il fait une grimace,
Consulte ses dossiers et se gratte la face :
Les bras pendants, l’œil fixe, il demeure capot.
Et les juges de rire, et le client de braire.
Digne conclusion d’une si belle affaire !

Quel revers qu’un mauvais début !
Notre singe en sut quelque chose,
Et dès lors, avocat sans cause,
A jamais fut mis au rebut.

Livre II, fable 10




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