Un jour la Vérité, dans une grande place
Montrait, pour de l’argent, un magique Miroir.
Oh ! oh ! dit le public, c’est une chose à voir !
Le monde y court. La merveilleuse glace
Avait entre autres le pouvoir
Quand on fixait les yeux sur sa surface,
D’en apprendre bien plus qu’on n’en voulait savoir.
Le faux dévot, la coquette, la prude,
Le traître, l’ingrat, le méchant,
L’orgueilleux, le faquin, le brutal, le pédant
Venaient des curieux grossir la multitude :
Bref, chacun y voyait ses défauts découverts.
On rougissait, on ne savait que dire :
Mais ai-je bien les yeux ouverts !
On les frotte, on les ouvre, et puis on se remire.
Mêmes objets de nouveau sont offerts,
Au diable le Miroir ! on s’y voit de travers.
Bon soir, la Vérité, gardez votre vitrage ;
Et puis sans la payer, on lui dit, bon voyage.
Pour s’enrichir, la Vérité
Avait sans doute pris le change :
La fortune n’est pas pour la sincérité ;
Nous ne payons que la louange.