Le Plaisir et la Peine Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766 - 1852)

Je suis l'idole des mortels,
Disait le plaisir à la peine ;
Partout s'élèvent mes autels,
Le monde entier chérit ma chaîne.
Que nos destins sont différents !
On te fuit, et l'on me désire ;
Après moi chaque cœur soupire ;
Tu ne fais que des mécontents.
Il n'est point de banquets, point de fêtes nouvelles,
Où l'on n'ait soin de m'inviter,
Et pour tous ceux que tu viens visiter,
Le temps se traîne et n'a point d'ailes.
Enfin, vois quel est mon pouvair,
J'inspire en tous lieux l'allégresse,
Tandis qu'il suffit de te voir,
Pour mourir d'ennui, de tristesse.
Cesse donc de suivre mes pas,
Car ta présence me dérange :
Laisse les hommes ici bas
Goûter le plaisir sans mélange.
Ingrat reprit la peine, ah ! connais ton erreur ;
Moi seule je soutiens ta fragile existence ;
Sans mon secours, et sans mon assistance,
On te verrait bientôt expirer de langueur.
Si je te suis avec constance,
C'est pour te protéger, c'est pour te soutenir :

« La peine accroît la jouissance,
Et double le prix du plaisir. »

Livre IV, fable 9




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