Deux hommes habitaient une petite ville ;
L'un était pauvre et fort habile,
L'autre, tout cousu d'or, manquait absolument
Et d'esprit et de jugement.
Un jour qu'errant dans la campagne,
Ils se promenaient, en causant,
C'est bien à tort, dit le savant,
A son ami qui l'accompagne,
Que l'on met au-dessus du savoir, du talent,
Les biens que, sans raison, la fortune répand.
L'autre, orgueilleux de sa richesse,
Que l'apostrophe blesse encor,
Lui répond le savoir est loin d'être un trésor ;
Il ne mène qu'à la détresse.
Dites-moi, monsieur l'érudit,
Où vous conduit ce pompeux étalage,
De livres, produit d'un autre âge,
Qui remplissent votre réduit ?
De tous mes serviteurs, je ne sais pas le nombre ;
A m'obéir chacun est toujours empressé ;
Et vous, bien au contraire, en tout temps délaissé,
N'êtes accompagné jamais que de votre ombre.
Un pliant, une table, un lit,
Sont les meubles de votre chambre ;
Et l'on vous voit le même habit
En août aussi bien qu'en décembre.
Le riche, en dépensant, fait le bien de l'Etat,
Par lui vivent heureux le marchand et l'artiste ;
Et pour charmer son goût, plus ou moins délicat,
Un chacun le suit à la piste.
Vous-mêmes, messieurs les auteurs,
Ne dédiez-vous pas aux riches vos ouvrages
En mots plus ou moins louangeurs ?
Et ne quêtez-vous pas huinblement leurs suffrages,
Afin qu'ils paient vos labeurs ?
La réponse était trop facile ;
Le savant ne dit mot, et fit bien dans ce cas.
Mais avant peu la guerre, et d'horribles combats,
Apprirent au richard que le plus sûr asile,
Contre une soldatesque irritée, indocile,
C'est le toit qu'on n'aperçoit pas.
Son château fut pillé, brûlé, couvert de cendre ;
Il perdit tout, il ne lui resta rien.
Et ceci lui fit bien comprendre
Que l'or n'est pas le plus grand bien.
Faisant de la misère un dur apprentissage,
Le savant le reçut dans son humble hermitage ;
Partageant avec lui ce qu'il pouvait avoir.
Et le ci-devant riche, en devenant plus sage,
Connut enfin que l'or ne vaut pas le savoir.