Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles :
Il faut le leur passer, souvent ils sont heureux ;
Grand motif de se croire habiles.

Un âne, en broutant ses chardons,
Regardoit un pasteur jouant, sous le feuillage,
D’une flûte dont les doux sons
Attiroient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disoit : Ce monde est fou !
Les voilà tous, bouche béante,
Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
À souffler dans un petit trou.
C’est par de tels efforts qu’on parvient à leur plaire ;
Tandis que moi… Suffit… Allons-nous-en d’ici,
Car je me sens trop en colère.
Notre âne, en raisonnant ainsi,

Avance quelque pas, lorsque sur la fougère
Une flûte oubliée en ces champêtres lieux
 Par quelque pasteur amoureux,
Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux ;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu’il peut. Ô hasard incroyable !
 Il en sort un son agréable.
 L’âne se croit un grand talent,
Et, tout joyeux, s’écrie, en faisant la culbute :
 Eh ! Je joue aussi de la flûte !

Livre V, fable 4




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