Ignorant héritier d'un docte voyageur,
Qui, sachant l'Europe par cœur,
Était allé, par delà l'Acadie,
Finir chez les Hurons ses courses et sa vie,
Un d'eux avait choisi, pour sa part du butin,
Un baromètre de voyage.
Il n'en savait pas trop l'usage ;
Mais il avait longtemps, autour du lac Champlain,
Du voyageur transporté le bagage ;
Il avait à part lui raisonné longuement
Sur cette invention qu'il tenait pour magie,
Interrogé le maître, et son raisonnement
Avait enfin logé dans sa tête aplatie
Que le merveilleux instrument
Faisait le beau temps et la pluie.
Le baromètre alors devint pour mon Huron
Le plus puissant des dieux, le Manitou suprême.
Son respect fut d'abord extrême.
C'est ainsi qu'on débute en toute passion.
Soit qu'il voulût chasser le daim ou le faucon,
Ou lancer sur le lac sa pirogue légère,
Si son oracle était contraire,
Il suspendait son arc et posait l'aviron.
Ce fut bon pour un temps ; la servitude ennuie ;
L'esclave le plus doux s'en est parfois lassé.
Un jour que, par sa fantaisie,
Vers un pays lointain plus fortement poussé,
D'une bourrasque il se vit menacé,
Il perdit patience, et d'un peu de colère
Mélangeant d'abord sa prière :
« Fais du beau temps, dit-il, j'en ai besoin ; je pars. »
Mais le dieu, sourd à la requête,
Annonçait toujours la tempête,
Et déjà sur le lac s'amassaient les brouillards.
« C'est ainsi, répond-il, que tu me contraries !
Tu fais un ouragan quand je veux un zéphyr !
J'affranchirai mon bon plaisir
De tes folles intempéries.
Mon Huron, à ces mots, croyant tout aplanir,
Met son baromètre en cannelle,
S'embarque, et, la bourrasque emportant la nacelle,
Dans les flots il va s'engloutir.
J'ai vu des rois, hélas ! qui n'étaient pas plus sages,
Des ministres pis que des rois.
D'un conseiller prudent ils étouffent la voix,
Quand pour les arrêter il prédit des orages :
C'est au prophète seul que s'en prend leur ennui.
S'ils se perdent, c'est encor lui
Qu'ils accusent de leurs naufrages ;
Et les honnêtes courtisans
Qui leur servent de baromètre,
Pour être bien venus du maître,
Prédisent toujours le beau temps.