Messer Gaster, dont notre La Fontaine,
Après Ménénius, fit un type de roi,
Voulut prendre un ministre ; et pour ce haut emploi
De candidats on n'est jamais en peine.
Le Cerveau, la Langue et le Cœur
Aspirèrent à cet honneur,
Et de ses droits chacun proclama l'excellence.
Mais la Langue à ses deux rivaux
Sut si bien trouver des défauts,
Que de Gaster contre eux s'arma la méfiance.
Si le Cerveau faisait valoir
Qu'en lui siégeaient raison, et sagesse et génie,
Elle lui reprochait l'erreur et la folie.
Gaster avait d'ailleurs sur lui trop de pouvair :
Quand Gaster souffrirait d'un repas indigeste,
Le ministre Cerveau, troublé dans son devoir,
Pourrait du corps entier bouleverser le reste.
Le Cœur avait de son côté
Grandeur, patriotisme et noblesse et vaillance ;
Mais il pouvait pécher par excès d'indulgence,
Par pitié, par faiblesse ou sensibilité.
La Langue en dit tant, que le sire,
Croyant qu'on faisait bien quand on savait bien dire,
Lui remit son autorité.
Elle étourdit alors d'un vain bruit de paroles,
De graves quelquefois, plus souvent de frivoles.
Elle parla, parla, tantôt mal, tantôt bien ;
Fit du moindre incident le sujet d'une glose ;
Parla de tout, sur tout, et puis sur autre chose,
Parla toujours et ne fit rien.
Mais, après cent débats dont elle fut la cause,
Gaster, en digérant, finit par deviner
Que cette machine parlante
N'était qu'un instrument, que devait dominer
L'autre machine intelligente.
Ne donnons point un empire à mener
A qui ne sait se gouverner.
Gardons-nous des bavards, qui, parlant sans vergogne,
Font plus de bruit que de besogne.
Le plus beau péroreur, fût-il même avocat,
N'est pas toujours homme d'État.
Je ne veux pas plus loin pousser la conséquence ;
Mais, avant que mon siècle ait terminé son cours.
Mes survivants, s'ils ne sont déjà sourds,
En diront plus que je n'en pense.