Le Vautour, le Moineau franc et autres Oiseaux John Gay (1685 - 1732)

Avant de commencer je dois dire d'avance
Que nos ministres sont bons, pleins de sapience,
Que si d'aucuns maudissent leur orgueil
Que nous importe à nous? Pour moi je m'en bats l'œil.

Si j'ai mon franc parler avec les cours, qu'on sache
Que sur la cour d'ici moi jamais je ne crache ;
Que si Vautours, Moineaux et mes autres Oiseaux
Des ministres, ces Loups qui mangent les Agneaux
Sont la critique .... Ouais ! faut-il prenant la mouche
Contre moi, pour cela, jeter un œil farouche ?
Je ne me mêle pas des affaires d'Etat,
Avec l'Autorité point ne veux d'altercat.
Nos projets sont parbleu d'essence trop profonde
Pour que Machiavel et les creuse et les sonde,
Et de les censurer n'ai la prétention,
Ils outrepassent trop ma compréhension.

Vous dites votre frère en quête d'une place
(Plus d'un frère cadet doit courre cette chasse) ,
Vous dites que bientôt il s'en va tour- à-tour
Harceler ses amis, et la ville et la cour.
Si des mérites vrais lui font trouver par chance
Un patriote au cœur ouvert, sans arrogance,
Et dont les actions honnêtes fassent foi
Qu'il mérite l'estime et du peuple et du roi,
Que sous un tel ami votre frère s'élève,
Du gâteau ce sera vraiment gagner la fève.

Vous louez son esprit et sa capacité,
Son érudition, aussi sa probité,
Toutes ces qualités, il n'en saura que faire
Si son patron n'a pas aussi beau caractère.

On m'a parlé de temps (nous en défende Dieu !
Il peut nous amender, s'il exauce mon vœu ! )
Où de méchants, où d'indignes ministres
Foulaient aux pieds les lois, les rois, le peuple et Dieu,
Ceinturonnant les cuistres !
Le trône d'arrogance, et se faisant un jeu
Bafouer la vertu par leurs desseins sinistres.
Ces ministres avaient pour leurs gardes du corps
Gredins au petit pied, chenapans sans remords,
Alors si le Premier donnait dans la luxure,
L'infâme entremetteur avait l'investiture ;
Puis l'espion aussi, cet impudent menteur
Qui par de faux rapports reconforte le cœur,
Engourdit le remords par plus d'un adroit conte,
Et de crimes affreux sait éponger la honte.
Que si notre Premier n'était rien qu'un faiseur,
Rien qu'un aventurier sans vergogne et pudeur,
Des hommes à projets de tout rang, de tout âge,
De vils courtiers marrons, héros d'agiotage,
Autour de lui grouillaient : lors sans savoir pourquoi
Il vous fallait marcher ; -voler était la loi.
Il fallait prendre, il fallait toujours prendre,
Et que si, par hasard, un scrupule arrivait,
Ne fut-ce que celui d'avoir un jour à rendre,
De votre place alors le Premier vous cassait,
Et bien heureux pour vous, s'il ne vous faisait pendre.
Puisque pareils goujats sont parfois au pouvoir,
Et que les favoris changent du jour au soir,
M'est avis qu'il faudrait courtisans malléables ,
Sans principes réels afin d'être acceptables ;
Pourque le scélérat qui fait son Coup-d'Etat,
(Dieu garde le pays d'un si triste attentat !)
Trouve des scélérats de son infâme trempe
Pour pouvoir se montrer complet devant la rampe.

Où le peuple est sucé, rançonné, maltraité,
Où trône l'infâmie et la rapacité,
Certes, je ne voudrais, au prix d'une couronne
Me gorger de cet or que la haine assaisonne :
De ces scélérats-là que de vils imposteurs
En masquant les défauts se fassent souteneurs !
Donnez-moi, juste ciel ! un sort bien plus modeste,
La contemplation, cette vertu céleste,
Plus un esprit serein, -nargue de la grandeur,
Sans richesse et sans titre à moi sera l'honneur!
Sur ce, mes bons Messieurs, lisez, lisez ma fable,
Et sa leçon vous soit à chacun profitable !

Autrefois,-(notez bien que je dis Autrefois,
Mes vers ne sont si sots que d'aller en sournois
S'attaquer au présent, à ses lois, à ses bêtes,
Aux crimes des manants ou des royales têtes)
Autrefois, dis-je, un Vautour affamé
Menteur, voleur, glouton, joueur fort mal famé,
Sur tous les malfaiteurs sûr de gagner la prime,
Très attrape-nigauds, pataugeant dans le crime
Se glissa jusqu'au trône, et par un certain coup
A s'y bien cramponner parvint à pas de loup :
Et lors qu'il eut atteint enfin le nid de l'Aigle,
Pour lui voulut régner ainsi que c'est la règle.
L'Aigle ne dit pas non. Voilà notre Vautour
Fait Premier de l'état, bientôt ayant sa cour !
Des Oiseaux près de lui s'assemble la cohorte,
D'aucuns seront gardés, d'autres mis à la porte.
Chacun au reste croit avoir seul droit pour lui
Aux places et faveurs, nargue des droits d'autrui.

Le Rossignol, ceci fut la préface,
Fut renvoyé d'abord.- Un Choucas prend sa place.
"Cet oiseau, m'est avis, est," se dit le Vautour
"Entreprenant, il est apte aux affaires,
Il a beaucoup d'esprit, n'est pas du tout balourd,
Point du tout scrupuleux, au dessus des misères
Humaines, c'est docile comme un Chien
Et jamais ne s'arrête à rien.
Il ne se gêne pas avec son voisinage,
Et j'en ferai ce que je veux, je gage.
L'Epervier eut été moins commode avec moi,
Il eut souvent cabalé, j'en ai foi ! "
De Coqs salariés une ignoble milice
Pour le suivre en tous lieux et former sa police
Fut engagée, et ce corps de bretteurs
Eperonnés, servit de mouchards, d'éclaireurs.

Alors mons du Vautour renvoya les Corneilles
Qui, disaient-ils, lui rompaient les oreilles ;
Les Corneilles d'ailleurs prédisaient l'avenir,
Discutaient, croassaient, c'était à n'en finir ;
Et comment de l'Etat faire croire aux mensonges
Si des Oiseaux les expliquent en songes ;
De tels Oiseaux étaient assurément
Un obstacle à former un bon gouvernement,
C'étaient un troupeau de Harpies.
Il fut remplacé par des Pies :
" Elles ne pensent point, " dit à part le Vautour,
"Parlent, mais par routine, et tout le long du jour
Répètent ce qu'on leur enseigne,
Je vais leur enseigner à voter pour mon règne!"

Quand de tels chenapans s'élèvent aux honneurs
Ne saurais désirer ni places, ni faveurs,
Ni des emplois, encor moins une grâce,
Se dit un Moineau-Franc ; car ce serait disgrâce
Servir un tel gouvernement !
J'aime bien mieux, ma foi, vivre paisiblement
Dans mon tout petit coin, et sous mon toit de chaume
Avec la paix du cœur,-que dans ce laid Royaume !

Livre II, fable 2




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