Le Babouin et la Volaille John Gay (1685 - 1732)

A contresens souvent nous plaçons notre estime
En jugeant l'homme par l'habit.
Certes c'est d'un fort bon régime
Que de donner le pas au pouvoir, au crédit,
A la naissance, au nom qui prime :
Mais l'estime, on ne doit la donner impromptu
Qu'à la vertu.

Nous regardons Milord d'un œil de complaisance,
Son bisaïeul déteint sur ce nom d'importance,
L'histoire a dit sa gloire en son vaste record...
Mais que nous dit son nom à lui-rien que Milord.

Lorsque notre ceil s'arrête aussi sur l'opulence
Il risque bien parfois d'être ébloui :
C'est que nous savons tous qu'un riche a la puissance
De faire quand il veut, le bien avec un oui :
Et puis nous acceptons la chose comme faite,
Tout comme si pouvoir était vouloir :
De là vient que la foule acclame à l'aveuglette
Souvent le vil coquin qui vit de son avoir.

Regardez le troupeau des faiseurs de courbettes
Est-il rien de plus vil , est- il rien de plus bas ?
Avec quelle impudeur ces marchands de sornettes
Aux pieds des grands ne se vautrent-ils pas ?
Ils fondent leur succès sur leur propre bassesse
Les flagorneurs ; flatter est leur péché mignon :
Du pouvoir quelqu'il soit qui se hisse au pignon
A soudain leur hommage, a soudain leur souplesse.
Que les ministres soient de profonds scélérats ,
Leurs levers sont suivis, fort goûtés sont leurs plats :
Qu'importe qu'ils aient mis aux abois des royaumes,
Pour tout pied-plat ce sont des Saint Jean Chrysostômes.

Alors qu'on invoquait le barbare Moloch
Pauvres petits enfans vous tombiez sous le bloc.
Mais dans le cas présent l'histoire est un mensonge,
Ou des états entiers sont tombés quand j'y songe.

Regardez à travers les Palais et les Cours,
Qu'y voyez vous ? qu'y voyez vous toujours ?
Le pouvoir encensé, le pouvoir seul idole
Des Lions, des Renards, d'un troupeau malévole
De femmes sans vergogne, et de vils chenapans,
De gens perdus d'honneur, d'effrontés charlatans.

Qui peut donc se targuer jamais de sa puissance
Et des vains bruits du flatteur qui l'encense ?
Le complaisant de ses heures d'été
Avant l'hiver l'a déserté.
La puissance bercée au souffle des louanges
Trouve dans son parcours des destins bien étranges,
Immense bulle elle s'enfle à crever,
Grossit, se brise et s'éparpille :
Que reste-t-il après de l'immense guenille ?
Un sale pleur qu'elle laisse baver.

Il était une fois une bien vieille Fille
Réduite par les ans à l'état de morille,
Qui ne trouvait rien mieux pour embellir ses jours,
Que sur des animaux d'épancher ses amours :
Aussi Chiens, Perroquets, Singes c'était merveille,
Jasaient, faisaient joujou sans cesse avec la vieille.
Un énorme Babouin, presqu'un homme ma foi
Par la taille et par l'air, s'empara de son moi,
C'était un touche à tout, d'assez vilaine espèce,
Faisant des méchants tours avec beaucoup d'adresse,
Et de dons naturels se servant, et si bien
Qu'il était apte à tout ne s'étonnant de rien.
Avec tant de talents c'était vraiment justice
Que monsieur de Jocko remplit un noble office,
Aussi c'était son lot le soir et le matin
De soigner les Oiseaux, de leur donner le grain.

Voyez le maintenant tout confit d'importance
D'un ministre affecter la superbe insolence.
Voyez déjà la nuit touche à sa fin :
A peine aperçoit-on l'aurore aux doigts de rose
Que déjà dans l'espoir d'agripper quelque chose
Cygnes, Paons et Dindons, Poules, Chapons, Canards,
La basse cour enfin, et voire ses moutards,
S'en vient cahin- caha formée en caravane
Pour adorer le maître, assièger sa cabane.
Le ministre parait. Chacun de se ruer
L'un sur l'autre, et cela pour le mieux saluer.
L'un vante son savoir, celui-ci sa figure,
Celui là chaque don que lui fit la nature,
Enfin de bec en bec court le mot louangeur,
La basse flatterie au langage imposteur.
Notre Babouin entend et prend la chose en homme,
Comme nous la prenons, en somme,
Car "l'amour-propre est bien le plus sot des amours."
Flattez le, sur le champ il croit à vos discours.

Trop scrupuleusement accomplir son office
C'est risquer de n'avoir qu'un chétif bénéfice ;
Et n'est-ce pas l'usage chez les grands
De s'assurer pour la soif une poire ?
Ainsi pensa Jocko, qui sur ce fait notoire,
Vers le tour du bâton fixa ses yeux ardents.

En plein vent près de là vivait une marchande
Dont l'étal regorgeait de pommes et de noix,
Lui de cette chère friande
Se gavait la bedaine et se lichait les doigts :
Il avait stipulé que ses frais de cuisine,
Seraient payés en blé, non pas même en farine.
Mais cependant le grain filait, filait, filait ;
Quel chemin prenait-il ? aucun ne le savait ;
L'état piteux de la triste volaille
Disait qu'elle avait soif de faire un peu ripaille ;
Le soupçon élevé devint un fait certain,
Jocko fut condamné comme un affreux coquin,
Et quoiqu' alors ministre,
Flétri comme un voleur public, et comme un cuistre ;
De plus retenu dans les fers
Où rien ne lui resta ..... que son orgueil pervers .

Soudain vint à passer tranquillement une Oie
Qui fréquentait jadis ses levers avec joie.

"Eh! quoi pas de respect ! de vénération !
As-tu donc oublié cette adulation
Dont même hier encor tu me donnais la preuve?
Aujourd'hui mon aspect n'a-t-il rien qui t'émeuve !"

“ Qui m'émeuve? ” a dit l'Oie, “orgueilleux triple sot !
Il est vrai qu'à ton blé chacun était dévot,
Tu nous vendais du grain pour de la flatterie,
Mais de rire sous cape avions l'effronterie ;
Hier comme aujourd'hui Singe très suffisant,
En toi nous n'avons vu qu'un fat peu séduisant !"

Livre II, fable 3




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