L'Instinct et la Raison Joseph Barthélemy de Feraudy (1762 - 1831)

Tu n'es qu'un grossier élément,
Et moi je suis une sublime essence.
À l'Instinct, la Raison, d'un ton plein d'importance,
Faisait un jour ce compliment.
Celui-ci, peu flatté de cette confidence,
Aurait voulu la mettre dans son tort ;
Mais c'eût été nier à coup sûr l'évidence
Que de tenter pareil effort.
Il osa cependant lui dire :
Si bien que toi j'atteins mon but.
Ne veillé-je pas au salut
De l'être qui sous moi respire ?
J'avise à ses premiers besoins :
Pour lui je prodigue mes soins.
Sur toi n'ai-je pas l'avantage
(Sans que je veuille ici dépriser ta valeur)
De ne point troubler son bonheur
Par un inutile langage ?
Expliquons-nous de bonne foi :
Quel est le but de l'existence ?
C'est d'exister tranquillement, je pense ;
Et tu tourmentes ceux qui vivent sous ta loi.
On te voit, de sphères en sphères,
Conduire leur esprit au pays des chimères ;
Tu leur fais tous les jours former de nouveaux vœux,
Et tu voudrais prouver que tu les rends heureux !
Dame Raison d'abord l'entendit sans mot dire ;
Elle allait riposter, lorsque la Vérité,
Qui dans un coin avait tout écouté,
L'en empêcha par un éclat de rire.