La Main droite et la gauche Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Avec un ton de suffisance
La Main gauche un jour à sa sœur
Vantait son innocence,
Et lui reprochait sa fureur.
C'est vous, qui naguère, dit-elle,
Dirigeâtes cruellement
Ce tube étroit et court qui dans son sein recèle
Un plomb fatal chassé dès que l'amorce prend.
Valcour n'est plus, sa mort est votre ouvrage. --
La Main droite reprit, « Nous avons même emploi,
Et ton reproche n'est pas sage.
La paresse te rend moins habile que moi ;
On a compté sur mon adresse ;
J'en tire peu de vanité :
L'exercice, je le confesse,
Nous la donne, et procure aussi la sûreté.
J'atteins le but avec justesse :
Aveuglément je suis la volonté,
Sans avoir droit d'examiner, je pense,
Quel sentiment guide en secret
L'être doué d'intelligence,
Dont nous devons seconder en effet
Les désirs, la valeur, l'amour et la vengeance.
Lorsque l'on agit forcément,
Crois-moi, ma chère amie, on n'est jamais blâmable ;
Ce n'est que le consentement
Qui produit les remords, et lui seul rend coupable. »
C'était là pérorer assez bien, dira-t-on,
La Main gauche pourtant refusa de se rendre.

On a tort de parler raison
À qui ne veut ou ne saurait l'entendre.

Livre III, fable 13




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