Le Laurier-rose et la Pensée Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

 Un laurier-rose,
 Se croyant quelque chose,
Étalait au soleil ses rameaux et ses fleurs ;
 Auprès, une pensée,
 La tête baissée,
Semblait ne pas savoir l’éclat de ses couleurs.

— Que je te plains, que je plains tes pareilles,
 Petite fleur des bois ! —

Dit le laurier couvert de mille fleurs vermeilles —
 On t’a foulée aux pieds cent fois
 En venant cueillir mes guirlandes.
Ma tige est forte, à moi, mes fleurs sont toutes grandes
 Elles brillent de loin.
 Puis, pour demeurer sans reproche,
 J’ai la vertu dont j’ai besoin.
 Approche ;
— Mets-toi près de ma tige et peut-être on croira
 Que tu me dois la vie,
 Et quelque main ravie
 Alors te cueillera.

Merci, dit l’humble fleur, je suis bien disposée
 À rester où je suis :
Où Dieu nous a fait naître on n’a jamais d’ennuis.

Le rayon du soleil et la fraîche rosée
 Avaient entendu les discours
 De la plante tous les jours
Réchauffée avec soin, avec soin arrosée ;
 Ils la punirent aussitôt
 En ne descendant plus sur elle.
 Le laurier se flétrit bientôt ;
L’humble fleur à ses pieds demeura longtemps belle.

Vous qui vous croyez grands dans votre sot orgueil,
N’humiliez jamais par une pitié vaine
Les humbles qui sont là vivant à votre seuil,
Car leur vie est souvent plus longue et plus sereine
Que la vôtre à vous tous. Puis, veuillez le noter,
Celui qui donne tout peut aussi tout ôter.

Livre I, fable 4




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