Les deux Arbustes et l’Ondée Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

L’hiver a quelquefois des jours de chaude pluie,
De même que l’été, des jours de froids brouillards ;
La jeunesse a des pleurs qu’une espérance essuie,
Le vieillard, des plaisirs qui mouillent ses regards ;
 Et ce triste ou joyeux mélange
 A pour nous comme un charme étrange
 Qui nous attire et nous fait mal.

Cette réflexion, malgré l’invraisemblance,
Deux arbres la faisaient, au temps de leur enfance,
 Dans leur langage original.
C’était pendant l’hiver et, la température
S’élevant tout à coup comme au mois de juillet,
Plus d’un ruisseau reprit avec désinvolture,
 Son cours dans les champs de millet ;
 Et l’orage
 Avec rage
 Fouetta les rameaux gris
 De nos arbres surpris.

Le plus petit des deux, s’emportant, fit un geste
 Pour secouer les gouttes d’eau,
Et dit à son voisin :

 — Pour moi, j’en ai de reste
 De cet humide cadeau ;
 Quand je serai sous mon feuillage
 Le firmament pourra pleuvoir.
 Je voudrais bien savoir —
 Ce n’est point de l’enfantillage —
 Pourquoi cette pluie en hiver.

Et l’autre répondit :

 — L’on ne vit que d’hier ;
 Il faut savoir attendre
 Si l’on veut tout entendre.

— Attends, c’est ton affaire, et comprends si tu peux ;
Pour moi je n’aime pas — mes paroles sont franches, —
Toutes ces gouttes d’eau qui tombent sur mes branches,
Et pour m’en délivrer je fais ce que je veux.

En hiver le doux temps n’est que d’une journée.
L’orage passa vite et le ciel devint clair ;
La course du ruisseau fut encore enchaînée
Et nul vol ne brava la froidure de l’air.
 Alors l’un des arbustes, —
Celui qui n’avait pas, en parlant avec fiel,
 Secoué l’eau du ciel,
 Et dit des paroles injustes —
L’un des arbustes vit, sur ses rameaux charmants,
 Des flots de diamants,
 Des guirlandes étranges,
 Des perles et des franges ;
Mais l’autre s’inclina de honte et de regret,
 Car sur ses branches dénudées
Il n’avait pas voulu, prenant un ton aigret,
 Supporter les ondées.

Les peines, les chagrins qui remplissent nos jours
Par la soumission se transforment en joies ;
Ils épurent notre âme et sont les grandes voies
Qui mènent de la haine aux célestes amours.

Livre I, fable 20




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