Qu'il était beau ce chêne, aux beaux jours du printemps,
Avec son vert feuillage et ses chatons pendants !
Comme une tente au loin projetant sa grande ombre,
Il servait de patrie à des tribus sans nombre : '
Les loriots dorés, et les joyeux pinsons
Avaient construit leurs nids dans l'en Ire-deux des branches;
Les geais au manteau bleu, les tourterelles blanches,
S'étaient logés plus haut avec leurs nourrissons ;
Que leurs chants, que leurs jeux, récréaient le poète !
Mille insectes, brillant des plus vives couleurs,
Bourdonnaient tout autour dés feuilles et des fleurs ;
De la tige aux rameaux, et des rameaux au faîte,
D'agiles écureuils montaient incessamment ;
Tout était vie et joie, amour et mouvement,
Et du hameau, le soir, une jeunesse folle
Accourait pour danser sous sa vaste coupole.

Le voilà maintenant dépouillé par l'hiver,
Le voilà qui, sans fleurs et sans feuillage vert,
Balance tristement sa tète chauve et grise,
Et dresse ses bras nus, inutiles par la bise.
Plus de nids, plus d'amours, plus de concerts joyeux :
Tous les oiseaux ont fui l'arbre silencieux ;
Quelquefois seulement, précurseur de l'orage,
Un noir corbeau s'y perche et pousse un cri sauvage.

Voilà bien ton image, homme des mauvais jours!
Quand la vertu t'enflamme, et quand le beau t'enchante,
Dans ton coeur simple et bon toutfleurit et tout chante.
Mais ton printemps s'enfuit, et s'enfuit pour toujours ;
Le doute, vent glacé, vient dépouiller ton âme,
Gomme un feuillage aride, emportant tour à tour
Riante illusion, foi, poésie, amour :
En proie au ver rongeur de l'égoïsme infâme,
Tu ne crois plus au beau, tu ne crois plus au bien,
Et, comme un arbre mort, enfin tu n'es plus rien
Qu'un cadavre debout, que le néant réclame.

Livre IV, Fable 11, 1856




Commentaires