Corneille avait du Çid enrichi le théâtre,
Et chaque soir son nom mille fois répété,
Aux applaudissements de la foule idolâtre,
Grandissait en célébrité.
Offusquée à l'éclat de sa gloire naissante,
De ses obscurs rivaux la cohorte puissante,
Scudéri, Boisrobert, Lestoile, Claveret,
Colletet, La Serre et Mairet,
Prodiguant à l'auteur l'invective et l'outrage,
Aux transports du public mêlent des cris de rage.
Ministre, redoutable: .et bel-esprit jaloux,
Richelieu, s'alliant à la ligue ennemie,
Ordonne avec aigreur à son académie
De censurer l'ouvrage; Accablé de dégoûts,
Un jour, près de Rouen, l'infortuné poète
Vint trouver un vieillard vivant dans la retraite,
De ses premiers essais bienveillant auditeur,
Et qui, resté malgré son âge,
Des beaux vers fidèle amateur,
Mêlait encor l'étude aux soins du jardinage.
A l'ombre d'un berceau de vigne et de jasmin,
Ce sage était assis, un Virgile à la main.
Corneille ouvrit son cœur à cet ami sincère :
« Conseillez-moi, dit-il, ô mon guide, ô mon père !
Je n'ai jamais blessé personne en mes écrits,
Pourquoi tant d'ennemis ont-ils juré ma perte ?
Et, quand à vingt auteurs la carrière est ouverte,
Contre moi seul pourquoi ces fureurs et ces cris ?
— De cet acharnement, répond lé solitaire,
Je te vais, ô mon fils, apprendre le mystère:
Sans perdre en vains discours des instants précieux,
Sur ces raisins dorés tourne un moment les yeux.... '
C'estsur les plus beaux fruits que se jetteri'tles mouches.
Vois, j'ai beau les chasser, ces insectes farouches
Y reviennent sans cesse avec plus d'âpreté,
Sans s'arrêter jamais sur le fruit avortée »

Le poète charmé sourit; il rendit grâce
A l'aimable vieillard, en lui serrant la main..
L'orage de son cœur se dissipa soudain.
Toujours autour de lui des frelons du Parnasse
Il vit tourbillonner le bourdonnant essaim,
Mais, sans plus écouter leur rumeur importune,
Il écrivit Cinna, Pompée, et Rodogune.

Livre III, Fable 20, 1856




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