Une Corneille, au noir plumage
(Elle était parente, je crois,
D'un corbeau qu'un renard cajola sur sa voix,
Et qui, voulant chanter, laissa choir son fromage),
Une Corneille, dis-je, errant dès le matin,
Vit, sur un terrain purgé d'herbes,
Certain agriculteur éparpillant ses gerbes
Pour les battre en plein air, et récolter son grain.
Quel froment ! se dit-elle, et qu'il abonne mine !
L'hiver vient. Je devrais songer
À faire une cachette, où je pusse gruger
Quelque chose, en cas de famine.
Procédons à l'enlèvement ;
Accrochons ces épis dont la terre est couverte ;
Et les ongles chargés, sauvons-nous promptement
Dans le creux ignoré d'une roche déserte.
Jusque-là c'était bien : mais il advient parfois
Qu'on fait pis en voulant mieux faire.
La Corneille, de loin, les yeux fixés sur l'aire,
Considérait le villageois.
Que fait-il ? se dit-elle ; il s'agite, il travaille
À séparer, je crois, le froment de la paille.
Bon ! le travail sera tout fait.
Attendons ; et j'aurai le froment pur et net.
La Corneille attendit ; et quand, de son haleine,
Eurus eut fait voler la paille dans la plaine,
Quand le fermier, tout prêt à serrer son trésor,
Eut mis dans un seul tas le froment couleur d'or,
La commère, du haut des nues
Regardant déjà tout ce bien
Comme sien,
Tombe sur le monceau les deux grifses tendues.
On la vit de ses doigts s'escrimer bel et bien.
Mais, hélas ! vains efforts ! espérances déçues !
La grifse eut beau jouer, elle n'emporta rien.
La Fortune se plait à trahir notre attente :
Ne dédaignons jamais ce qu'elle nous présente.
Qui fait le dissicile et montre du dégoût,
Le plus souvent n'a rien du tout.