Émerveillé de son ramage,
Et sûr d'être partout le premier des chanteurs,
Le Rossignol jadis entreprit un voyage,
À l'instar de nos grands acteurs.
Je ferai foule à mon passage,
Se disait-il tout bas : mes accords enchanteurs
M'attireront plus d'un hommage ;
Et si je reviens au bocage,
Comblé d'éloges et d'honneurs,
J'y serai goûté davantage.
Au gré de ses désirs tout réussit d'abord.
Sitôt que sur une autre rive
Le chantre du printemps arrive,
Chacun l'accueille avec transport.
On loi fait déployer sa voix flexible et tendre,
Et les oiseaux ravis se taisent pour l'entendre.
Il n'est bruit que du Rossignol.
Phénix harmonieux de la gent emplumée,
Vers de lointains vallons il dirige son vol,
Et voit, à chaque instant, croître sa renommée.
À force de voler, il arrive à la fin,
Au bord d'une forêt obscure,
Où l'yeuse et le noir sapin
Étalent en tout temps leur lugubre verdure.
Sur le rameau d'un if il se perche. Sa voix
Retentit, mais se perd dans l'épaisseur du bois.
Nul oiseau qui le félicite
Sur son talent, sur son mérite.
Solitude absolue, isolement complet.
L'infortuné s'égosillait,
Quant tout à. coup survient un passereau sauvage,
Qui lui dit : oses-tu faire ouïr ton ramage
Aux échos de cette forêt ?
La corneille y gouverne, et le chant lui déplaît :
Éloigne-toi de son empire.
Le Rossignol deux fois ne se le fit pas dire.
H s'envola soudain, et fut bien avisé.
Sous un tyran grossier le talent est un crime,
Et nul n'en peut être accusé,
Sans en devenir la victime.