Deux Chars roulaient de front sur la fin de l'été,
Et gravissaient une montagne,
Portant tous deux à la cité
Les dépouilles de la campagne.
L'un des Chars avait vu les bois
Changer bien souvent de feuillage,
Depuis que du fermier il subissait les lois ;
L'autre de son destin faisait l'apprentissage,
Et roulait, ce jour-là, pour la première fois.
Ah ! criait-il pendant la route,
Je suis écrasé sous le poids,
Et je me briserai sans doute !
Que je souffre de maux ! et combien j'en prévois !
Le vieux Char lui disait : Allons, ami, courage !
Fais ton chemin ; ne gémis pas.
Le Destin voulut qu'ici-bas
La peine fût notre partage ;
Mais, quand on crie à chaque pas,
On la ressent bien davantage ;
Imite-moi. Lorsque j'ouvris
Ma triste et pénible carrière,
Comme toi je jetai des cris ;
Je priai le ciel tutélaire
De changer mon destin, d'alléger ma misère.
Il refusa de m'écouter.
Alors, ami, loin d'insister,
Je pris le parti de me taire ;
Et je dois m'en féliciter.
J'ai toujours, je l'avoue, une charge à porter,
Mais je la trouve plus légère.

Bonne leçon pour les humains !
La plainte de nos maux accroît la violence.
Un sage adoucit ses chagrins
En les supportant en silence.

Livre I, Fable 18




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