Certain sultan de Babylone ,
Fraîchement monté sur le trône,
Voulut aller visiter son trésor :
Trésor formé par les soins de son père,
Qui n’avait fait qu’entasser or sur or,
Tandis que ses sujets vivaient dans la misère.
Un vieux visir du feu roi,
Conservé dans son emploi.
Malgré l’usage ordinaire,
Guida le prince, et muni d’un flambeau
Le conduisit au caveau.
C’est là qu’une citerne immense
Offrit aux yeux du monarque étonné
Une inestimable chevance :
Jamais trésor ne fut mieux conditionné.
Grand dieu, qui me l’avez donné ,
S’écria-t-il avec surprise,
Daignez souffrir que je l’épuisé
En soulageant des malheureux ;
Et donnez-moi des jours assez nombreux
Pour n’y pas laisser une obole !
A cette admirable parole,
Le vieux visir sourit. Le roi l’interpella :
Visir, que veut dire cela?
Trouvez-vous mon souhait frivole ?
Je veux savoir pourquoi vous avez ri.
Pardon, seigneur, répond le visir attendri,
Votre souhait est digne qu’on l’admire ;
Mais voici ce qui m’a fait rire.
Je me suis rappelé soudain
Qu’un jour le roi défunt m’ayant pris par la main,
Je descendis sur ses augustes traces
Dans ce superbe souterrain.
Le puits n’était pas encor plein ;
Il s’en manquait la valeur de deux brasses.
Je ris alors le roi prosterné pour prier ,
Et je l’entendis s’écrier :
Grand dieu, qui mesurez la vie,
Vous savez mes desseins, daignez les accomplir;
Ce puits est imparfait au gré de mon envie,
Laissez-moi vivre assez pour le remplir.