Ci dist d’une Suriz vileine
Ki a une vile prucheine,
Voleit aler pur déporter ;
Parmi un bos l’estuet aler.
Dedenz le bois li anuita
Une logete illuec truva
C’une Suriz dou bos ot faite
È sa viande i ot atraite.
La Suriz de vile demande
Se laiens n’i a point de viande ;
Cele respunt j’en ai assez
Venez avant si la véez,
E se plus amiez compaignie
Si sériiez vus bien servie.
Qant ele ot illuec pièce estéi,
A sa cumpaigne en a parléi,
Dist ke ses estres est mauvès
E ke n’i volt demourer mès ;
Od li s’en-viengne, si aura
Richeces granz que li dunra ;
Beles despensses, biaus celliers,
E buns boivres, è buns meingiers ;
Cele l’atrait, od li s’en va,
En riches sales la mena,
Se li ad mustréi ses soliers
Ses despenses è ses greniers ;
Plentéi de férine è de miel
E cele cuida estre en ciel.
Mais lors vindrent li Buteillier
Qui durent entrer au célier,
Si tost cum il uvrirent l’uis
Les Suriz fuient ei pertuis ;
La Boschage fu esbahie
Ki lor estre ne saveit mie.
Kant cil issirent dou célier
Les Suriz r’alèrent au mengier,
Celé fu mourne è en dolor
Qui de mort ot éu paor ;
Sa cumpaingne la regarda,
Par grant amur li demanda
Qel sanblant fait ma duce amie !
Jeo suis, fet-ele, mal baillie
Pur la poour que j’ai eue,
Mult m’en repenz qant jeo t’ai crue ;
Tu me cunteies tut tun bien
Mes dou tun mal ne me deiz rien,
Or as tu paour de la gent
De chas è de chiens ensement,
È des engins que hum fait pur tei ;
Miauz aim en bois estre par mei
En seurtei è sans destreces
Q’en tes grans sales en tristesces.
Ceste Fable dist sans respit
Chascuns aint miex le sien petit
Que il ad en paiz sanz dutance
Q’autrui richesce o mesestance
Dunt puet estre en léiauté
È bien fenir en vérité.
TRADUCTION
La Souris des champs et la Souris de la ville
Une souris des champs, un jour,
Décida de quitter sa cour.
Elle voulait aller s’amuser,
Dans un bois proche se promener.
Mais la nuit tomba sur son chemin,
Et elle trouva, près d’un ravin,
Une petite maison bien coquette,
Où vivait une souris forestière, discrète.
La souris des champs, poliment,
Demanda : « Avez-vous de la viande ? »
L’autre répond : « J’en ai assez,
Venez, voyez, régalez-vous !
Et si vous cherchez compagnie,
Je vous servirai avec amitié. »
Après un moment de festin,
La souris des champs prit son chemin.
Elle dit : « Votre vie est bien rude,
Je ne veux plus de cette solitude.
Venez avec moi, je vous promets
Richesse, abondance et bienfaits.
Des réserves pleines à craquer,
De bons repas, de quoi festoyer. »
La souris des bois, tentée, accepta,
Et vers la ville elle s’en alla.
Dans de grandes salles, elle fut menée,
Où tout n’était que profusion,
Greniers, celliers, provisions,
Farine, miel, et bien d’autres choses.
La souris des bois, émerveillée,
Se crut au ciel, toute ébahie.
Mais soudain, les humains arrivèrent,
Ouvrirent le cellier, entrèrent.
Les souris, paniquées, s’enfuirent,
Se cachant dans les moindres trous.
La souris des bois, tremblante, effrayée,
Ne savait plus où donner de la tête.
Quand les humains furent partis,
Les souris revinrent au logis.
La souris des bois, triste et pensive,
Dit à son amie, l’air craintif :
« Pourquoi cet air si sombre, chère amie ?
— Je suis malheureuse, je l’avoue,
La peur m’a glacée jusqu’aux os.
Je regrette d’avoir cru tes mots.
Tu m’as vanté tes richesses,
Mais tu m’as caché tes détresses.
La peur des gens, des chats, des chiens,
Des pièges tendus pour nous aussi…
Je préfère mes bois, ma liberté,
Ma vie simple, en sécurité,
Plutôt que tes richesses, tes dangers,
Et tes salles pleines de tristesse. »
Mieux vaut peu, mais en paix et sans peur,
Que des richesses qui apportent malheur.
Chacun aime mieux son petit bien,
Que des trésors qui ne valent rien.
AUTRE TRADUCTION
Une souris, simple et rustique,
Vivait en paix, loin du public.
Mais un beau jour, pour s’amuser,
Elle voulut sa sœur visiter.
Le chemin fut long, et soudain,
La nuit tomba sur son destin.
Dans un vieux tronc, elle aperçut
Un doux abri, bien conçu.
Là, sa cousine du bois vivait,
D’un maigre festin se contentait.
« Entre, dit-elle, viens souper,
Tu n’as rien à craindre ici-bas !
C’est peu de choses, je l’admets,
Mais tout suffit quand on est las. »
L’autre souris, d’un air hautain,
Dédaigna ce repas certain :
« Ta vie, dit-elle, est bien austère,
Suis-moi plutôt, quitte ces terres !
Auprès de moi, viens demeurer,
Festins et fêtes vont t’enchanter ! »
Séduite alors, la campagnarde
S’en fut vers la ville blafarde.
Là, les celliers, les grands salons,
Les mets exquis et les flacons,
Tout scintillait sous mille ors,
Un vrai palais, un vrai trésor !
Mais quand la table fut dressée,
Des pas soudain ont retenti !
Les serviteurs, dans la soirée,
Venus chercher quelque appétit !
La villeuse, vive et habituée,
D’un bond rapide disparut !
Mais sa cousine, épouvantée,
Ne sut où fuir et resta crue.
Quand le calme fut revenu,
L’âme en émoi, le cœur vaincu,
Elle s’écria, toute tremblante :
« Ta vie me semble bien pesante !
Tu me vantais mille plaisirs,
Mais tu cachais bien tes soupirs !
Rois des festins, reines des tables,
Vous êtes aussi misérables,
Toujours cachées, toujours en fuite,
Craignant sans cesse qu’on vous évite !
Moi, je préfère, en vérité,
Mon humble sort, ma liberté !
Plutôt qu’un pain dur, un grand festin,
Mais sous la peur d’un triste destin ! »
Mieux vaut un bien simple et certain
Que mille ors lourds d’un sort incertain.
Deux Souris, l'une riche, l'autre pauvre pour une traduction littérale ou Le Rat de ville et le Rat des champs