On murmure souvent aussitôt qu'on raisonne ;
C'est un défaut bien ancien.
La Brebis l'éprouva, quoique douce personne.
En comparant son sort avec celui du Chien,
Elle prit de l'humeur, se crut vraiment trop bonne,
Alla trouver son maître, et, sans ménager rien,
« Enfin, dit-elle, je m'étonne
Que toi, qui veux passer pour un homme de bien,
Tu me traites si mal ! L'injustice est certaine :
Tous les ans, sur mon dos ne prends-tu pas ma laine ?
Tu m'enlèves mon tendre agneau.
Mon lait, qui coule à tasse pleine,
Te donne, tous les jours, un fromage nouveau.
Tes guérets sous mes pas redeviennent fertiles.
De toi, pour tant de dons utiles,
Que reçois-je en échange ? Hélas ! sur les coteaux
Il faut que j'aille à l'aventure,
Et par la pluie et par le vent,
Chercher à vivre, et bien souvent
Trouver long le chemin et courte la pâture ;
Tandis qu'au coin de ton foyer
Je vois un Chien hargneux, qui ne sait qu'aboyer :
C'est lui seul qu'on choie et qu'on aime,
Sans qu'il te donne engrais, agneaux, lait, ni toison ;
Il partage, à son aise, au sein de ta maison,
Le pain que tu manges toi-même.
Eh ! n'est-ce pas avec raison » ?
Cria maître Mouflard, qui l'avait entendue.
Trop ingrate Brebis ! qui vous sauve, entre nous,
Des pièges des voleurs et de la dent des loups ?
Aux Chiens seuls la gloire en est due :
Aller sans nous aux champs, le pourriez-vous jamais ?
Si les dogues étaient endormis ou muets,
Votre race serait perdue.
Je conviendrai que par vos dons
Vous enrichissez notre maître ;
Mais avant tout vous devez paître :
Vous le pouvez ; nous vous gardons. »
On dit que des Brebis la douce et sage espèce
De ce raisonnement reconnut la justesse ;
Elle honora ses gardiens.
Peuples ! appliquez-vous la même remontrance,
pour vos magistrats ayez la déférence Et
Qu'eurent les Brebis pour leurs Chiens !

Livre II, fable 4




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