Les Vendangeurs Philippe Barbe (1723 - 1792)

Exposée aux regards du Soleil bienfaisant,
Une Vigne étendait fur un coteau riant
Ses seps chargés de fruits. C'était Bacchus lui- même
Qui l'avait cultivée avec un foin extrême.
Tous les mortels , éloignés ou voisins,
Etaient en droit d'y cueillir des raisins.
Heureux qui le premier , conduit par la Fortune,
Entra dans cette Vigne abondante & commune!
Il s'empara des fruits les plus délicieux.
Mais il n'épuisa pas ce trésor précieux.
D'autres, moins diligents, tour à tour arrivèrent.
Ce ne fut point en vain. Les fertiles rameaux
En leur faveur se dépouillèrent
De quelques raisins assez beaux.
Eux sortis, se présente un homme de Village :
Où vas-tu ? Lui dit-on... Je m'en vais grapiller.
Chacun commence à le railler.
Voilà ce qui s'appelle agir en homme sage !
Ah ! Qu'il est beau de travailler,
Quand il ne reste plus d'ouvrage !
Bacchus entendit ce langage.
Va, dit-il. Tous les fruits ne sont point arrachés.
La Vigne que tu vois a ce rare avantage,
Qu'on y trouve toujours, en s'armant de courage,
Quelques raisins sous le pampre cachés.

Je me représente la Fable
Comme une Vigne inépuisable,
Où la Fontaine est entré le premier,
La Fontaine , génie aimable ,
Et Fabuliste inimitable,
Connu de l'Univers entier.
Richer, la Motte, Aubert, Desbillons, Peselier,
D'autres dont les efforts font dignes de louange,
Ont fait l'un après l'autre assez bonne vendange.
Quant à moi j'arrive bien tard.
D'ailleurs, j'ai moins d'esprit, moins de talents, moins d'art,
Que tant d'habiles Personnages,
Par qui tous les raisins ont été recherchés,
N'importe j'entrerai. Si j'en crois des gens sages,
Je trouverai des grains, oubliés, ou cachés.

Livre I, fable 2




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