Dans l'atelier d'un statuaire,
Parmi les chefs- d'œuvre de l'art,
Maint buste gisait au hasard
Enseveli dans la poussière.
Plusieurs méritaient cet oubli ;
L'un n'avait point de bras , et l'autre point de tête ;
Un troisième, à demi poli,
N'offrait qu'une ébauche imparfaite.
Ceux-là peut-être auraient eu tort
De se plaindre de leur disgrâce,
Mais d'autres, qu'on voyait réduits au même sort,
Auraient pu se flatter d'une plus digne place.
De son obscurité l'un d'eux enfin se lasse...
Ce n'était pas celui d'un savant, d'un héros,
Fait d'un beau marbre de Paros,
Ce n'était qu'un buste de pierre ;
Et cependant au statuaire
Il ose se plaindre en ces mots :
« Toi de mon sort le seul arbitre,
C'est trop longtemps me laisser à l'écart,
Et je crois avoir quelque titre
Pour solliciter un regard.
Mon aspect , j'en conviens , n'offre à tes yeux l'image
Ni d'un monarque aimé, ni d'un guerrier fameux,
Ni d'un poète, ni d'un sage ;
Je n'ai pas même l'avantage
D'avoir été formé d'un marbre précieux ;
Mais, sans être un bien rare ouvrage,
Par quelques traits au moins je puis plaire à tes yeux.
Daigne accueillir ma timide prière,
Et secouer cette indigne poussière
Qui cache mon front obscurci,
Tu verras si tu dois me retirer d'ici. »
La demande était indiscrète,
Cependant, notez bien ce point,
Le sculpteur ne s'en fâcha point,
Mais il fit droit à la requête.
Sur un beau piédestal le buste fut dressé ;
On ne le posa point dans un salon bien riche,
Mais dans une modeste niche,
Et l'on ne trouva pas qu'il y fût déplacé.
Grands du monde, apprenez par le sort de ce buste,
Qu'au mérite surtout vous devez votre appui ;
Et si notre sculpteur fut juste,
Ne le soyez pas moins que lui.