Des chevreuils vivaient en commun
Dans un fertile pâturage,
Et de la sorte l'avantage
Était le même pour chacun.
Du soleil cependant la chaleur dévorante,
Car on était en plein été,
A la terre enlevait sa fraîche humidité,
Et l'herbe se penchait mourante.
Aux chevreuils ce fléau pouvait être fatal,
Et, leur ôtant leur subsistance,
Compromettre leur existence ;
Il fallait au plus tôt remédier au mal.
Un ruisseau près de là coulait pur et limpide.
On forme le projet d'en détourner le cours,
Et de rendre, par son secours,
La fraîcheur au sol trop aride.
Mais alors qu'on allait commencer les travaux,
Il surgit mainte résistance ;
Tous veulent qu'à leur convenance
On creuse la tranchée et dirige les eaux.
Chacun se démène, s'agite,
Pour les avoir près de son gîte ;
Nul ne pense au bien général.
Ce sot entêtement causa le plus grand mal ;
Car, tandis que sans fin on pérore, on discute,
Aucun travail ne s'exécute.
Le pré sèche, et nos pauvres fous
De faim périssent presque tous.
Pour trouver le sens véritable
Qu'on peut donner à cette fable,
Il ne faut pas beaucoup chercher.
C'est à peu près ce qui résulte,
Toutes les fois que l'on consulte,
Au lieu du bien public, l'intérêt de clocher.