Dans les champs égarés et privés de leur mère,
Deux chevreuils mouraient de misère.
Une biche les aperçoit,
Les plaint, et, dans son ermitage,
Avec charité les reçoit,
Les nourrit de son lait, les mène au pâturage
Et leur cueille aux buissons le plus tendre feuillage.
Après un sort plein de rigueur,
Ah ! que la bienfaisance a pour eux de douceur !
Aussi, combien leur gratitude...
Eh non ! suivant la commune habitude,
Nos deux chevreuils, devenus grands,
Sont des ingrats !... Quittant leur bienfaitrice,
En vagabonds ils parcourent les champs
Pour vivre selon leur caprice.
Mais, bientôt, un chasseur en blesse un, et, tremblants,
Ils reviennent tous deux près de leur protectrice.
La biche, oubliant le passé,
Ne fait entendre aucune plainte,
Les reçoit bien et soigne le blessé.
Sa voisine lui dit: « Pouvez-vous, sans contrainte,
Combler de bien ces êtres vils et bas ?
— Les pauvres, répond-elle, ont peu de bienséance,
Et sont presque toujours ingrats :
Plus de bienfaits, plus de reconnaissance !
Mais, n'importe ! il vaut beaucoup mieux
Faire un ingrat, que voir un malheureux ! »