D'un limpide ruisseau le cristal incertain
Coulait avec un doux murmure,
Parmi les fleurs et la verdure :
C'était un fort joli destin.
Le ruisseau s'en plaignit pourtant à la nature :
Faut-il donc, disait-il, que, toujours arrêté,
Toujours gêné par deux étroites rives,
Je ne puisse jamais couler en liberté ?
Faut-il que mes ondes plaintives
Suivent ainsi, toujours captives,
Une triste uniformité ?
Et de quoi te plains-tu, lui répond la nature ?
Ton sort n'est-il pas assez beau ?
Deviens plus sage, ingrat ruisseau !
Vois ton onde tranquille et pure,
En flots mollement azurés,
S'écouler doucement sur des cailloux dorés ;
Vois la jeune bergère, ingénue et timide,
Venir, dans ton miroir limpide,
Arranger ses simples atours ;
Le poète souvent s'inspire
Aux charmes de tes bords, au doux bruit de ton cours,
Et l'infortuné qui soupire,
Y calme quelquefois le chagrin de ses jours.
On t'aime, on te cherche, on t'admire,
Et, quand l'été répand ses feux,
C'est près de toi que l'on respire ;
Ruisseau, n'es-tu pas trop heureux ?
La nature parlait fort sagement sans doute,
Mais en vain le ruisseau l'écoute,
Il renouvelle encor ses ridicules vœux.
Ne pouvant plus souffrir son éternel murmure :
Eh bien, soit, lui dit la nature ;
Dès ce moment, tes vœux sont exaucés.
Soudain les deux rives s'abaissent,
Tous les obstacles disparaissent,
Voilà ses flots, au loin, dans les champs dispersés.
De là qu'arriva-t-il ? une chaleur funeste
En peu de temps les aspira ;
Un indigne limon flétrit encor le reste.
Pauvre ruisseau ! qui te plaindra ?

Telle est l'erreur de la plupart des hommes,
Ils veulent à tout prix de la célébrité ;
Restons, restons , comme nous sommes,
Dans notre douce obscurité.

Fable 8




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