C’est aussi ce qu’un frais ruisseau,
À peine sorti du berceau,
Pensait en arrosant les friches.
Il traînait doucement,
Sans bruit et sans murmure,
Son flot presque dormant
Dans un champ de verdure.
De jolis arbrisseaux
S’inclinaient en arceaux
Sur ses fleurs et ses sables ;
Et les petits oiseaux
Venaient boire à ses eaux
Pour eux intarissables.
Mais ce cours guère aventureux,
Cette existence douce
Parmi l’herbe et la mousse
Ne rendait pas heureux
Le petit téméraire :
Il rêvait, l’orgueilleux,
Un sort plus merveilleux,
Un destin moins vulgaire.
Or, l’hiver s’écoula, puis le printemps parut.
Dans les bois les neiges fondirent
Et des cieux les eaux descendirent,
Et le petit ruisseau s’accrut.
Il grossit, il grossit, et tout à coup son onde
S’élança, furibonde,
Au-dessus de ses bords.
Et, depuis lors,
Dans son cours plein de hardiesse,
Il inonde le pré détruit
Qu’il arrosait avec sagesse
Au temps qu’il serpentait sans bruit.
Plus d’un pauvre demeure honnête
Tant qu’il n’a rien,
Mais perd les vertus et la tête
Dès qu’il accumule du bien.